Prix de transfert - Contentieux - Secteur du digital - Nous signalons quelques décisions récentes dans ce secteur.
- Décision Wayfair ( É tats-Unis)27 : Le cas Wayfair porte principalement sur l'appréciation de l'obligation pour le vendeur de collecter la state sales tax dans l'État du consommateur quand bien même le vendeur n'y aurait pas de présence physique (approche « nexus »). Le 21 juin 2018, la Cour suprême des États-Unis a tranché en substance en faveur de l'existence d'une telle obligation.
Certains commentateurs y ont vu un précédent intéressant pour le débat sur le concept d'« établissement stable digital ». Cependant, l'impôt faisant l'objet de la décision Wayfair n'est pas l'impôt sur les bénéfices mais une taxe sur chiffre d'affaires, comparable économiquement à une taxe sur la consommation. Il est bien établi dans les juridictions du monde entier (notamment depuis 2015 dans l'UE en vertu des règles relatives aux services fournis par voie électronique) que les taxes sur chiffre d'affaires sont perçues dans la juridiction du consommateur, plutôt que dans celle du vendeur.
En dehors de certains cas (comme celui de l'impôt sur les sociétés de nombreux États américains, qui est déterminé sur la base d'une règle mathématique intégrant le chiffre d'affaires), il paraît en fait difficile de tirer du cas Wayfair des conclusions utiles en matière d'attribution des profits à un établissement stable dans le cadre de l'impôt sur les sociétés.
- Décision Microsoft (Danemark)28 : Les logiciels Microsoft au Danemark sont distribués suivant deux canaux :
* un canal direct, où le groupe distribue ses logiciels à des utilisateurs tiers. Les ventes directes, au Danemark, sont réalisées par la société Microsoft Ireland Operations Limited (MIOL), avec le support marketing et commercial de la société Microsoft Danemark ApS (MDA) ;
* un canal indirect, où les logiciels sont, lorsqu'ils sont mis à la disposition des utilisateurs, déjà installés par les assembleurs sur les machines achetées par les consommateurs. Les ventes aux assembleurs sont réalisées par Microsoft aux États-Unis. MDA n'est pas rémunéré au titre des ventes par ce canal.
L'administration danoise (SKAT) ne remet pas en cause la rémunération de MDA sur le canal direct mais considère que l'activité de MDA a également une incidence sur les ventes indirectes du groupe et que la commission de MDA aurait dû inclure les ventes indirectes dans son calcul. Un point secondaire porte sur l'appréciation du caractère complet de la documentation et sa communication dans les délais impartis.
La Haute cour du Danemark oriental a rejoint la position du contribuable le 28 mars 2018 au motif que les juridictions inférieures avaient statué que :
* MDA n'a pas effectué de marketing en dehors du champ d'application du contrat intragroupe ;
* le bénéfice apporté par l'activité de MDA aux ventes indirectes n'était ni prouvé ni mesuré ;
* le fait que la documentation n'ait pas été communiquée dans les délais ne permet pas à la SKAT de procéder à un redressement qui ne serait pas dûment objectivé, en particulier dans la mesure où la documentation était suffisante.
La Haute cour consacre ici l'importance, dans la charge de la preuve, de l'analyse des faits et circonstances et, le cas échéant, d'analyses quantitatives appropriées.
On notera que la position de la Haute cour a été confirmée par une décision de la Cour suprême le 31 janvier 2019.
- Décision Valueclick (France)29 : Le groupe américain Valueclick fournit des services de marketing et de publicité digitaux. En France, Valueclick France SARL fournit des services d'assistance marketing et commerciale à la société irlandaise Valueclick International Ltd, qui réalise les ventes auprès des tiers. L'administration fiscale française a considéré que les activités de la SARL conduisaient à l'existence d'un établissement stable de Valueclick International Ltd en France.
Dans sa décision, la Cour administrative d'appel reconnaît, par de nombreux aspects, l'implication de la SARL dans le processus commercial (capacité de négocier les termes des contrats et de rédiger certaines clauses, personnels se présentant auprès des tiers comme agissant en tant que salariés de la société irlandaise, programmes publicitaires mis au point par la SARL, etc.).
Cependant, la Cour a également conclu que les salariés de la société Valueclick « ne pouvaient décider seuls de la mise en ligne des annonces publicitaires, le lancement des programmes étant toujours subordonné à la signature préalable des contrats par les dirigeants de la société Valueclick International Ltd, quand bien même cette signature présentait un caractère d'automatisme et s'apparentait à une simple validation des contrats négociés et élaborés par les salariés de la société Valueclick France ». La Cour rappelle ainsi l'importance des stipulations contractuelles dans l'analyse de l'existence d'un établissement stable.
Reste cependant ouverte la question de la pérennité de telles décisions dans le cadre de l'évolution actuelle des Principes OCDE et de la mise à jour des conventions fiscales.