#Mots-clés: Société de personnes, Partnership, Cession de bien immobilier, Plus-value immobilière, convention internationale, Crédit d’impôt conventionnel, Double imposition (Élimination de la), Limited partnership, General partnership, Office du juge, Fondement légal erroné, Erreur de droit, Motif surabondant
#Article du CGI/LPF: 4 A, 8, 38, 60, 108, 120, 155, 238 bis K
#Convention fiscale: États-Unis (1994)
#Pays: États-Unis
La présente affaire mobilise la convention fiscale franco-américaine et la jurisprudence Artémis (CE, plén. fisc., 24 nov. 2014, n° 363556, Sté Artémis SA : Rec. Lebon). Elle pose la question de la qualification, au regard de la loi fiscale, des revenus perçus par l’intermédiaire d’entités de droit étranger, en l’espèce des partnerships américains, et des conséquences sur le redressement envisagé par l’administration. Le revenu en litige provient de la cession d’un bien immobilier situé aux États-Unis d'Amérique qui transite par deux partnerships américains pour bénéficier à une citoyenne américaine résidente de France. Spécificités de l’affaire, l’un des partnerships est un general partnership (GP), l’autre un limited partnership (LP) ; en outre les parties et les juges du fond vont, à toutes les étapes de la procédure, changer la qualification du revenu en cause, en droit interne et sur le terrain conventionnel.
Les faits de l’espèce sont simples. Au cours de l’année 2012, le limited partnership a réalisé une plus-value immobilière de 83 millions de dollars, le general partnership a alors perçu un revenu au titre de sa participation au sein du LP d’un montant de 10,2 millions de dollars et a reversé une fraction de ce revenu à une associée, une citoyenne américaine résidente française. Cette résidente française et son époux ont déclaré ce revenu à l'administration fiscale française dans la catégorie des plus-values immobilières et se sont prévalus d'un crédit d'impôt conventionnel égal à l'impôt sur le revenu français. À l’issue d’un contrôle, l'administration fiscale a limité ce crédit d'impôt au montant de l'impôt américain qu'ils avaient supporté à ce titre.
Devant le TA, les contribuables ont remis en cause la qualification de plus-value immobilière et ont considéré qu’ils devaient être imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application de l’article 120 du CGI. Le TA de Strasbourg a retenu cette qualification et a déchargé les époux des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mis à leur charge - le crédit d’impôt conventionnel attribué en cas de dividendes étant égal à l’impôt sur le revenu français.
La CAA de Nancy saisie par le ministre a confirmé le jugement du TA déchargeant les époux. Elle a en revanche retenu la qualification de bénéfices industriels et commerciaux et a jugé que le revenu perçu n’était pas imposable en France en vertu de l’article 7 de la convention fiscale franco-américaine relatif aux bénéfices d’entreprise. La cour a également précisé que si le ministre soutient que le revenu litigieux devrait être qualifié de plus-value immobilière au regard de l'application de la convention fiscale, ce moyen ne peut qu'être écarté dès lors qu'un tel revenu ne serait pas non plus imposable en France en vertu de l'article 13 de la convention relatif aux gains immobiliers.
Le ministre s’est donc pourvu en cassation contre cet arrêt du 21 décembre 2023 de la CAA de Nancy.
Le Conseil d’État, suivant les conclusions du rapporteur public, rejette le pourvoi du ministre.
Il commence par déterminer les stipulations de la convention applicables dans le cadre de deux partnerships dont l’un est un LP et l’autre un GP.
Le Conseil d’État précise qu’en vertu de la convention fiscale franco-américaine, l’associé d'un partnership de droit américain doit être regardé comme ayant réalisé lui-même les revenus réalisés par ce partnership. Il en résulte qu’une plus-value immobilière réalisée par un partnership par l’intermédiaire d’un autre partnership doit être regardée comme une plus-value immobilière réalisée par l’associé de ce partnership, à hauteur de ses droits dans celui-ci, imposable, en vertu de l’article 13 de la convention, dans l’État où les biens immobiliers en litige sont situés. Le Conseil d’État ajoute que lorsque cet associé est une personne physique résidente de France, imposable en France sur le montant de ses revenus mondiaux (CGI, art. 4), l’article 13 de la convention ne fait toutefois pas obstacle à la prise en compte d’un tel revenu pour le calcul de l’impôt dû en France, la double imposition étant éliminée par l’attribution au contribuable, en application du iii) du a du 1 de l’article 24 de cette convention, d’un crédit d’impôt imputable sur l’impôt français dans la limite de celui-ci et égal au montant de l'impôt payé, à raison de ce gain, aux États-Unis.
Le Conseil d’État juge que la CAA de Nancy a, ainsi que le soutient le ministre, commis une erreur de droit en retenant la qualification conventionnelle de bénéfices d’entreprises (art. 7) et en excluant l’application de l’article 24.
Ceci étant dit, le Conseil d’État constate toutefois que l’imposition en droit interne n’est pas légalement fondée et que par suite, l’erreur de droit commise par la cour sur le terrain conventionnel est sans incidence sur l'issue du litige.
En effet, le ministre n’a pas contesté la qualification de bénéfices industriels et commerciaux retenue, en droit interne, par la CAA qui a mobilisé la jurisprudence Artémis. Le Conseil d’État relève que la cour a considéré dans sa décision, que :
- le partnership de droit américain qui avait été constitué sous la forme d’un limited partnership pouvait être assimilé à une société en commandite simple de droit français et que ;
- le partnership, constitué sous la forme d’un general partnership dont l’activité était, à titre prépondérant, commerciale, présentait en droit américain des caractéristiques permettant de l’assimiler à une société en nom collectif de droit français. La cour a jugé, par des motifs non contestés en cassation, que le bénéfice que le LP avait distribué au GP constituait pour celui-ci un revenu distribué au sens des articles 108 et s. du CGI ayant contribué à la formation de son bénéfice calculé selon l’article 38 du même code, dès lors qu’il ne résultait pas de l’instruction que ce revenu aurait été réalisé dans un cadre « extra-professionnel » au sens de l’article 155 du même code (v. en ce sens CE, 18 déc. 2024, n° 469461, 469463, Rosati, concl. M.-G. Merloz : Lebon T.). La cour en a déduit, sans que le pourvoi ne conteste la qualification juridique ainsi retenue, que le revenu en litige versé par le GP à son associé résidente française, regardée comme une associée en nom collectif, était imposable entre ses mains dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et non comme une plus-value immobilière, fondement retenu par l’administration pour établir l’imposition contestée, ou dans la catégorie, dont le ministre avait sollicité la substitution en appel, des revenus des capitaux mobiliers.
L'imposition en litige ayant été établie sur un fondement légal erroné, le Conseil d’État juge que les motifs par lesquels la cour s'est prononcée sur l'application de la convention fiscale franco-américaine revêtent un caractère surabondant.