#Mots-clés: Abus de droit, Financement intragroupe, Sociétés sœurs, Montage artificiel, Succursale allemande, Obligations convertibles en actions, OCA, Prêt obligataire, Maturité, Obligations convertibles inverses, OCI, Filiale néerlandaise, Contrat d'option de vente, Contrat d’option d’achat, Clause de conversion des obligations, Prime de conversion
#Article du CGI/LPF: 38, 212, L. 64
#Convention fiscale:
#Pays:
L’affaire soumise au Conseil d’État traite de l’abus de droit en matière de financement intragroupe. La requérante, la société française Bayer SAS, filiale à 100 % de la société allemande Bayer AG, a émis en 2011 des obligations convertibles inverses (OCI) pour un montant de 150 M€, avec une maturité de 5 ans et un coupon annuel de 9,13 %. Les OCI ont été souscrites par la succursale allemande de la banque BNP Paribas. La conversion des OCI en actions est effectuée à l'initiative de l’émetteur et non du porteur des obligations, à raison de 38 122 actions pour une obligation.
Concomitamment à cette opération de financement, la succursale allemande de la société BNP Paribas a conclu avec la société néerlandaise Bayer BV, également filiale à 100 % de Bayer AG, un contrat d'option de vente portant notamment sur la cession des actions de la société française Bayer SAS pour un prix d'exercice de 150 M€ si l'option de conversion des OCI est exercée. En contrepartie de l’octroi à la banque de cette option, la société Bayer BV reçoit de la banque une rémunération de 5,1 % par an, assise sur un nominal de 150 millions d’euros.
Par un contrat de garantie, Bayer AG a apporté sa garantie à la société BNP Paribas pour la bonne exécution du contrat d’option de vente.
Par ailleurs, Bayer AG dispose d’une option d’achat lui donnant le droit d'acquérir auprès de la banque BNP Paribas les actions de la société française Bayer SAS, en cas d’exercice de la clause de conversion de l’obligation, à la valeur de marché, si l’option de vente souscrite avec Bayer BV n’était pas exercée par la banque.
Enfin, Bayer AG a octroyé un contrat de prêt sur 5 ans de titres de bons du Trésor allemand à moins d’un an d’une valeur nominale de 125 millions d’euros, sans garantie en contrepartie. Ce prêt est rémunéré à hauteur de 37 000 euros par la banque BNP Paribas.
Ces conventions ont été conclues le même jour, le 7 juin 2011, dans le cadre d’un projet dénommé Timmendorf, laissant à penser qu’il s’agit d’une opération globale unique : soit un financement intragroupe à hauteur de 125 M€ avec prêt bancaire de 25 M€.
Le schéma explicatif ci-dessous permet de bien comprendre le montage litigieux :
L’administration fiscale a entendu remettre en cause la déductibilité des intérêts versés par Bayer SAS à raison de la prime de conversion (sur-intérêts de 5,01 %) non pas sur le terrain de l’acte anormal de gestion mais sur celui de l’abus de droit en arguant de l’artificialité de la clause de conversion et de l’interposition de la banque BNP Paribas dans le cadre de cette clause.
Le TA de Montreuil et la CAA de Paris ont validé la thèse de l’administration.
Le Conseil d’État, conformément aux conclusions du rapporteur public, rejette le pourvoi de la société.
Il considère que la société Bayer SAS n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt de la cour - quoique fragile sur différents points qui ont été à juste titre relevés par le pourvoi. En particulier, il y a erreur de droit à avoir jugé la clause de conversion artificielle au seul motif que la perspective de voir la société BNP Paribas entrer au capital de Bayer SAS n’était pas établie. En effet, cette circonstance révèle seulement l'artificialité de l'interposition de la société BNP Paribas comme partie à la clause et conduit à regarder l’option de conversion comme liant directement Bayer SAS et sa sœur néerlandaise.
La cour a toutefois jugé, par un autre motif, que la souscription d’une obligation convertible est dépourvue d’intérêt lorsque le souscripteur réel possède l’intégralité du capital de l’émettrice, et peut éventuellement décider seul de son augmentation, ou lorsque, comme en l’espèce, le souscripteur réel est une filiale détenue en totalité par l’actionnaire unique de la société émettrice. Elle a ainsi transposé à l’hypothèse d’un groupe la décision Min. c/ EDF et EDFI (CE, 16 nov. 2022, n° 462383 et 462388, Min. c/ EDF et EDFI, concl. K. Ciavaldini : Rec. Lebon ; FI 1-2023, n° 4, § 18) qui a jugé, dans le cas d’obligations convertibles par actions souscrites par l’actionnaire unique de l’émetteur, que la valeur de l’option de conversion est nécessairement nulle lorsque l’option est attribuée à la personne possédant, à la date de l’émission, l’intégralité de ce capital.
C’est l’idée retenue en l’espèce par le Conseil d’État - sans aller pour autant jusqu’à transposer le précédent de 2022. Il juge ainsi que, dès lors que la société mère allemande, qui était l’associée unique des sociétés française et néerlandaise, disposait du pouvoir de décider, à tout moment, de l’émission de nouveaux titres de la première et de leur souscription par la seconde, celle-ci ne supportait aucun risque supplémentaire du seul fait de sa qualité de souscriptrice réelle de la clause de conversion. La haute cour raisonne ainsi en termes de risque et non de valeur.
Le Conseil d’État en déduit, en prenant de la hauteur, que la cour n’a pas commis d’erreur de droit ni entaché son arrêt d’erreur de qualification juridique des faits ou de dénaturation des pièces du dossier en jugeant que la souscription, par la société française, auprès de la société BNP Paribas, d’obligations convertibles inverses procédait d’un montage artificiel poursuivant une finalité exclusivement fiscale, justifiant, sur le fondement du L. 64 du LPF, la réintégration de la part des intérêts versés par la société française à BNP Paribas à hauteur du taux d’intérêt de 5,1 %.
À cet égard, le Conseil d’État écarte comme inopérant le moyen tiré de ce que l’administration fiscale aurait dû opérer la rectification sur le terrain de l’acte anormal de gestion et non sur celui de l’abus de droit. Ce moyen fait écho au sujet, débattu en doctrine, de la subsidiarité de l’abus de droit. En l’espèce, le recours à l’article L. 64 du LPF était nécessaire pour écarter la stipulation de la clause au profit de la société BNP Paribas.