Prix de transfert - Crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19 - Réactions des administrations fiscales - Ajustements à pratiquer - Management fees - Rémunération de routine - L'impact de la période de confinement sur l'économie, en France et dans le monde, s'est révélé particulièrement important et nous découvrons encore l'ampleur des conséquences de cette période exceptionnelle sur les groupes de certains secteurs d'activité. De manière générale, les méthodes de prix de transfert mises en place n'ont pas été déterminées pour tenir compte de circonstances aussi atypiques. Les modes d'ajustements habituels pourraient se révéler insuffisants en fin d'exercice pour tenir compte de ces modifications extrêmement importantes des conditions d'activités. La tolérance des administrations fiscales pourrait s'avérer différente d'un pays à l'autre, notamment selon la manière retenue pour procéder à ces nécessaires ajustements des prix des transactions intra-groupe. Nous présentons ici les tendances attendues des réactions de quelques administrations aux profils différents, à propos de deux types de transactions au cœur des préoccupations des groupes : les management fees et les rémunérations de routine.
27. Les groupes se voient dans l'obligation d'adapter leur politique de prix de transfert aux circonstances économiques exceptionnelles qu'ils viennent de traverser. Gageons avec espoir que la majorité de ces adaptations seront ponctuelles, afin de tenir compte des quelques mois hors normes du printemps dernier. Ces ajustements devraient se révéler, selon les premières observations et les premières réactions des groupes, d'une ampleur inhabituelle pour des corrections de fin d'exercice. Ils supposent des réactions rapides, sans attendre les opérations de clôture, s'éloignant des mesures prises généralement par les groupes en fin d'exercice pour s'assurer de la bonne application de leur politique de prix de transfert.
Dans ces conditions exceptionnelles, et face à ces corrections probablement massives pour la majorité des acteurs des différents secteurs d'activité (même à des degrés divers, l'ampleur de ces corrections ne sera finalement connue qu'en fin d'exercice de chaque groupe), les administrations pourraient faire montre de réactions différentes, de capacités d'acceptation variables et d'exigences spécifiques de justification de ces ajustements.
Les informations partagées ici présentent les tendances attendues des réactions de quelques administrations aux profils différents14. Elles s'appuient sur une anticipation de ces réactions, sur la base de leurs positions habituelles et de premières analyses d'échanges avec elles. Elles ne peuvent cependant pas être considérées comme des directives qu'elles auraient déjà communiquées ou des prises de position formelles. Peu d'entre elles se sont déjà exprimées sur ce sujet, même si certaines ont rapidement fait preuve de pro-activité afin d'anticiper les conséquences de la crise et s'afficher à l'écoute des difficultés rencontrées par les opérateurs économiques (au contraire d'autres qui ont repoussé jusqu'à présent toute possibilité d'échange) 15.
28. Deux types de transactions se sont révélées au cœur des préoccupations des groupes, considérées comme particulièrement impactées par les conséquences de la crise : les management fees facturées par les groupes à leurs filiales, d'une part, et les relations avec les filiales auxquelles des rémunérations de routine sont accordées, d'autre part.
L'approche des management fees est complexe, les groupes considérant avoir supporté des coûts plus élevés qu'en situation normale, pour faire face aux exigences en matière de relations humaines et de services informatiques par exemple (pour assister leurs filiales à faire face aux situations de chômage partiel ou pour mettre en place très rapidement les conditions techniques nécessaires au recours étendu au télétravail), sous la pression des filiales faisant face à des situations financières délicates ne leur permettant pas toujours de faire face à l'augmentation de ces charges intra-groupes.
La rémunération de routine des filiales, en particulier de celles au profil fonctionnel de distributeur à risque limité, ne peut plus être celle identifiée en rythme de croisière du cycle économique habituel, alors que les administrations entendent souvent et par habitude cette rémunération comme étant garantie, donc sans ajustement possible ; l'ampleur de la crise actuelle, inhabituelle, suppose pourtant des corrections indispensables et immédiates.
Les management fees, sujet sensible pour les administrations29. Un groupe de pays a priori plus fermés peut être identifié. En Chine et en Corée, les management fees sont un centre d'intérêt majeur des vérificateurs sur lequel ces derniers sont peu susceptibles de faire preuve de souplesse, en dépit des circonstances spécifiques. Seule l'augmentation du montant des services à partager (et du type de services rendus) pourrait être envisageable en Corée, à la condition de modifier le contrat en place entre la société mère et la filiale coréenne, soit par signature d'un nouveau contrat soit par ajout d'un addendum au contrat existant.
30. En Espagne, le seuil maximum de déduction exprimé en pourcentage du chiffre d'affaires restreint de manière importante la possibilité de voire varier les montants alloués aux filiales locales.
31. La difficulté habituelle rencontrée à convaincre les vérificateurs à Hong Kong de la réalité des services rendus et du juste montant facturé semble condamner toute possibilité d'augmentation ponctuelle des management fees. L'administration fiscale de Hong Kong devrait fonder ses positions sur l'observation de l'augmentation du montant des management fees alors que le chiffre d'affaires et le profit de la filiale locale se sont effondrés.
32. Il pourrait en revanche être possible d'adapter le montant facturé aux circonstances exceptionnelles aux États-Unis et en Allemagne, même si les administrations devraient se montrer réservées.
Aux État s-Unis, si une hausse semble techniquement possible, les vérificateurs devraient se montrer particulièrement exigeants quant aux justifications présentées. Ils chercheront à déterminer (i) si les services supplémentaires sont réellement utiles à la filiale, en particulier si un tiers aurait effectivement accepté de payer pour ces services additionnels (ou s'il aurait cherché à traiter de ces difficultés additionnelles par lui-même, de manière autonome) et (ii) si les montants peuvent être solidement justifiés. Les vérificateurs sont traditionnellement particulièrement vigilants sur la distinction entre les frais d'actionnaires et les charges qui peuvent être facturées aux filiales : l'expérience montre que ce débat peut être délicat avec les vérificateurs de l'IRS.
L'administration fiscale en Allemagne pourrait également comprendre une augmentation ponctuelle des management fees mais elle se montrera particulièrement attentive au respect des règles habituelles et ne devrait pas être prête à offrir davantage de souplesse du fait de la crise, notamment s'agissant de l'identification des frais d'actionnaire. Une possibilité pourrait consister en une augmentation globale du montant de management fees facturé, en respectant la même proportion habituelle de frais d'actionnaire et de management fees à destination des filiales, au titre de ces coûts exceptionnels liés à la crise.
33. Les administrations des autres pays de notre échantillon (Italie, Japon, Pays-Bas et Royaume-Uni) pourraient se montrer plus compréhensives, afin de tenir compte des circonstances. Elles devraient cependant, même si ce contrôle pourrait s'avérer plus léger, s'assurer de la réalité du service rendu, de l'utilité du service pour la filiale et du juste montant facturé.
La rémunération de routine : moins de rigidités qu'attendu34. L'Espagne ne semble pas vouloir faire preuve de flexibilité sur ce point, les vérificateurs ne devraient pas admettre de déviation par rapport à la méthode en place et au taux de rémunération prévu, tels que décrits dans la documentation de prix de transfert. Le parti pris conduit à s'assurer au cours des vérifications que si les risques et la rémunération sont limités, la rémunération de la filiale doit être garantie ; la responsabilité face à la crise devra être intégralement assumée par le groupe, donc hors d'Espagne.
35. Certains pays pourraient en revanche admettre des adaptations, tout en se montrant vigilants sur l'ampleur de la baisse de la rémunération de routine, en particulier celle d'un distributeur à risques limités.
En Allemagne, les réactions des vérificateurs devraient être probablement fondées sur une approche économique exigeante. La priorité devrait porter sur la justification de ce qu'un tiers aurait effectivement accepté de limiter sa rémunération en raison des circonstances particulières. Pourrait ainsi être envisagées plusieurs possibilités : une suspension temporaire du contrat en place, dès lors que cette solution peut être considérée comme raisonnable pour les deux parties ; le terme du contrat avant échéance, partant du principe que des tiers auraient souhaité le renégocier ; la prise en compte de coûts exceptionnels, sur une période limitée, à justifier rigoureusement ; un ajustement de la rémunération de routine consentie, justifiée par des corrections des chiffres issus du set de comparables (les méthodes retenues à cet effet seront sans doute considérées comme plus ou moins convaincantes).
Les vérificateurs avaient déjà entamé une décrue de la pression des contrôles en Chine, dès avant la crise Covid, en vue de soutenir l'économie. Pour autant, l'activité de contrôle fiscal reste soutenue et les grands groupes internationaux demeurent une cible privilégiée, rendant la réduction du résultat imposable en Chine un critère sensible de sélection des contrôles. Pour autant, une diminution pourrait être admise si elle est accompagnée d'explications solides, portant en particulier sur l'analyse globale de la chaîne de valeur du groupe et faisant apparaître la chute générale de la rentabilité du groupe comme des autres filiales. Par ailleurs, certaines autorités locales prépareraient déjà des listes de charges des manufacturiers, considérées comme exceptionnelles, qui pourraient être exclues de la base de coûts soumise au mark-up.
En Corée, l'administration restera vigilante et ne devrait pas admettre une diminution de rémunération justifiée par la suspension temporaire du contrat ou son annulation, a fortiori un résultat déficitaire. En revanche, pourraient être favorablement accueillies les justifications portant sur les charges, dont il pourra être justifié qu'elles sont exceptionnelles, ou sur la diminution des chiffres issus de l'étude de comparables16.
La vigilance particulière de l'administration fiscale du Royaume-Uni quant à la rémunération des distributeurs à risques limités conduit à anticiper qu'il ne serait pas possible de laisser une filiale en situation de déficit, même en raison de la crise. En revanche, HMRC ne considère pas que ces distributeurs ne supportent aucun risque, si bien que, s'il peut être démontré que l'ensemble de la chaîne de valeur souffre de la situation économique exceptionnelle, il serait possible d'expliquer que le distributeur local doit en supporter sa part, à la condition que l'entrepreneur ne reporte pas tout son risque sur sa filiale. De même, la déduction de dépenses exceptionnelles liées à la crise pourrait être acceptée, à la condition que le distributeur en soit effectivement responsable et en assure le contrôle. La démonstration de la position du groupe sera d'autant plus confortable qu'il sera en mesure de justifier, documentation à l'appui, que les acteurs économiques indépendants se trouvent dans une situation comparable (par exemple les fermetures d'entrepôts et les difficultés logistiques).
36. Enfin, un certain nombre de pays pourrait se montrer plus ouverts à l'adaptation aux circonstances exceptionnelles. Tel serait le cas pour trois pays (Hong Kong, Japon et Pays-Bas) qui semblent assez ouverts à la diminution de la rémunération de routine du distributeur à risque limité, dans la mesure où les contrats intra-groupe pourraient être amendés ou la politique de prix de transfert pourrait être momentanément suspendue en raison des circonstances imprévisibles et subies par l'ensemble des acteurs du marché.
Naturellement, ces baisses devront être justifiées mais au Japon comme à Hong-Kong des documents spécifiques sont attendus : au Japon un mémorandum of understanding témoignant de l'acceptation des parties, ou un avenant au contrat à Hong Kong, sont une condition impérative pour emporter la conviction des vérificateurs. Au Japon, les vérificateurs ont de surcroît une approche habituelle fondée sur la marge brute qui permet également de justifier plus facilement la chute de la rémunération de la société locale.
37. Une réduction de la rémunération de routine pourrait également être admise en Italie, en particulier celle des distributeurs à risques limités, à la condition de constituer un defense file solide destiné à expliquer la situation générale du secteur d'activité et celle de la société en particulier. La voie pourrait également être ouverte au recours à des comparables en situation déficitaire, un courant de jurisprudence semblant se dégager en ce sens ; cette possibilité reste toutefois à confirmer et pourrait s'avérer fragile.
38. Aux État s-Unis, la situation est marquée par l'organisation politique du pays, la suspension générale pour l'ensemble du territoire pour une période donnée semble en effet délicate alors que les 50 États ont pris chacun leurs propres mesures de lutte contre la pandémie, en ordre dispersé. Dans ces conditions, définir une période de référence unique et commune à l'ensemble du territoire est à proscrire.
En revanche, il pourrait être accepté par l'IRS de déroger au contrat en place, de le suspendre juridiquement au moyen d'un memorandum of understanding aux termes duquel les sociétés contractantes conviennent que la crise exceptionnelle remet en cause les relations normales prévues au contrat et ne permet pas la mise en œuvre de la politique de prix de transfert déterminée hors de ces circonstances imprévisibles. Ce memorandum pourrait également prévoir qu'un nouveau contrat sera mis en place lorsque la situation économique aura été stabilisée, un tel contrat nouveau étant alors destiné à couvrir la période courant depuis le début de la crise ainsi que l'avenir (une telle négociation ne peut être engagée à présent alors que les prévisions fiables sont impossibles).
39. De manière générale, ces pistes de réflexion et ces capacités variables des administrations à admettre des ajustements aux politiques en place sont conditionnées par la production d'une documentation, indispensable et permettant d'étayer les choix retenus par les groupes. Celle-ci doit être préparée dès à présent, de manière contemporaine aux opérations en cours, afin de collecter l'ensemble des éléments d'information qui devront être présentés aux vérificateurs (dans plusieurs mois, à l'occasion des contrôles à venir), tant au regard de la situation spécifique du groupe et de la société concernée que de celle du secteur d'activité et du pays considéré (mesures de confinement, de fermeture imposée, corpus de règles spécifiques aux circonstances qui peuvent justifier la situation économique à laquelle la société doit faire face localement).
L' ŒIL DE LA PRATIQUE
La principale difficulté, au-delà de la justification de ces ajustements et de la manière de les mettre en œuvre, tient à la capacité des groupes à déterminer la façon dont ils pourront les pratiquer, de manière telle que les administrations des différents pays dans lesquels ils sont établis pourront les admettre, en dépit des différences de réaction de chacun. Les groupes ne peuvent en effet pas envisager de retenir un mode d'ajustement différent dans chaque pays, au risque de perdre la cohérence des modifications apportées à la méthode de prix de transfert du groupe et de n'être pas en mesure de les justifier dans tous les pays.
Une alternative, délicate à traiter, porte sur l'ajustement des chiffres issus des études de comparables, qui portent aujourd'hui sur les données des années 2017 à 2019 qui n'ont aucune commune mesure avec la situation économique connue par les opérateurs économiques au cours de l'année 2020. Or, ces chiffres des comparables pour l'année 2020 ne seront disponibles que bien plus tard, généralement hors délai pour une prise en compte à la clôture de l'exercice en cours. Des approches approximatives pourraient cependant permettre de pratiquer des corrections, en procédant par comparaison avec les impacts connus à l'occasion de crises économiques passées, afin d'anticiper au mieux cette chute annoncée des résultats des sociétés qui seront compris demain dans les études de comparables pour cette année 2020.