Polina KOURALEVA-CAZALS
Professeur à l’Université Paris Cité
Professeur à l’Université Paris Cité
Abus de droit - Montage artificiel - Dissimulation d'opérations de pension de titres sous l'apparence d'achat-revente de titres - Pouvoir de requalification de l'administration - Le Conseil d'État se prononce une nouvelle fois sur une affaire de dissimulation d'opérations de pension de titres sous l'apparence d'achat-revente de titres avec pour conséquence la question de la qualification des revenus en litige et leur imposition : dividendes soumis au régime mère-fille ou produits de créance. La décisions présente surtout un intérêt en ce qu'elle apporte des précisions sur la mise en œuvre de la distinction entre le pouvoir général de requalification de l'administration fiscale et l'abus de droit, avant de renvoyer l'affaire devant la cour afin qu'elle se prononce sur l'influence de la convention fiscale concernée.
CE, 8e et 3e ch., 23 juill. 2024, n° 481894, BNP Paribas, concl. R. Victor, inédit au recueil Lebon (V. annexe 4)14
Personnes bénéficiant d'un régime fiscal privilégié - Article 123 bis du CGI - Détermination du caractère privilégié du régime fiscal de l'entité étrangère - Comparaison avec le régime fiscal en France - Régime mère-fille - Abus de droit - La CAA de Versailles juge que l'exonération totale d'une entité juridique dans un État étranger ne dispense pas de la vérification du régime fiscal dont elle relèverait en France pour les besoins de l'article 123 bis du CGI. En revanche, l'administration fiscale ne peut invoquer ni l'abus de droit ni la fraude à la loi pour s'opposer à ce que le régime mère-fille soit pris en compte dans la détermination du régime fiscal français de ladite entité.
CAA Versailles, 3e ch., 6 juin 2024, n° 22VE00325, Carrozza, concl. J. Illouz, C (V. annexe 1)
Fraude fiscale - Traité de protection des investissements - La chambre commerciale internationale de la Cour d'appel de Paris illustre que la reconnaissance d'une fraude fiscale peut mener à l'annulation d'une sentence arbitrale rendue sur le fondement d'un traité d'investissement.
CCIP-CA Paris, pôle 5 - ch. 16, 24 oct. 2023, n° 19/13396, Venezuela c/ Z. et a. (V. annexe 1)
Aviseurs fiscaux - Rémunération - La CAA de Paris juge que les renseignements transmis à l'administration fiscale par un aviseur fiscal avant la date d'entrée en vigueur des dispositions législatives prévoyant la rétribution d'une telle transmission ne peuvent donner lieu à indemnisation. Cet arrêt est l'occasion de faire le point sur l'utilisation du dispositif.
CAA Paris, 2e ch., 27 sept. 2023, n° 22PA04079, Gibaud, C (V. annexe 9)
Cumul des procédures fiscale et pénale - Divergence entre juridictions sur la qualification d'un établissement stable - Principe de sécurité juridique - Les juridictions pénales françaises avaient estimé que le requérant, agissant en tant que gérant de fait d'une société britannique, avait développé une activité en France, constitutive d'un établissement stable et non déclarée. Il a donc été condamné pour fraude fiscale. En parallèle, le requérant a fait l'objet d'un redressement pour des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales dues au titre de revenus qu'il aurait perçus de ladite société, mais en a été déchargé par la CAA qui a considéré que la société britannique ne disposait pas en France d'un établissement stable et que les montants qu'il avait éventuellement perçus n'étaient dès lors pas soumis à l'impôt et aux prélèvements sociaux en France. Le requérant soutenait à ce titre que cette divergence de solutions méconnaissait le principe de sécurité juridique et donc l'article 6 de la Convention EDH. La CEDH relève que le Gouvernement a reconnu que le requérant a été victime d'une atteinte au principe de sécurité juridique et proposait de lui verser un dédommagement. Ainsi, eu égard aux concessions que renferme la déclaration du Gouvernement, ainsi qu'au montant de l'indemnisation proposée, et à la possibilité pour le requérant d'obtenir, à la suite d'une demande de réouverture de la procédure pénale, le réexamen de son affaire au niveau interne, la Cour considère qu'il ne se justifie plus de poursuivre l'examen de la requête et a donc rayé l'affaire du rôle.
CEDH, 5e sect., 4 avr. 2023, n° 79356/17, Stassart c/ France
Rémunération de prestations de services versée à l'étranger - Prestataire domicilié ou établi en France (CGI, art. 155 A, I) - Constitution - Le Conseil d'État refuse de renvoyer au Conseil constitutionnel une QPC portant sur les deux premiers alinéa du I de l'article 155 A du CGI, considérant que ni l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle depuis 2010 ni l'i7nterprétation récente du Conseil d'État ne constituent un changement de circonstances justifiant un nouvel examen.
CE, 9e et 10e ch., 22 mars 2023, n° 455084, Dinis, concl. E. Bokdam-Tognetti, inédit au recueil Lebon (V. annexe 5)
Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales - Lanceur d'alerte - Convention EDH - Liberté d'expression ( l iberté de communiquer des informations) - Secret d'affaires - Dans l'affaire LuxLeaks Whistleblower, la grande chambre de la CEDH considère que compte tenu du débat public sur les pratiques fiscales des multinationales, auquel les informations divulguées par le lanceur d'alerte ont apporté une contribution essentielle, l'intérêt public à la divulgation de ces informations l'emporte sur l'ensemble des effets préjudiciables qui en découlent. En d'autres termes, la CEDH estime dans le cas d'espèce que la liberté d'expression et l'intérêt général l'emportent sur le secret d'affaires.
CEDH, gde ch., 14 févr. 2023, n° 21884/18, Halet c/ Luxembourg
Rémunération de prestations de services versée à l'étranger - Prestataire domicilié ou établi hors de France (CGI, art. 155 A, II) - Exigence d'éléments suffisants pour établir que les prestations ont été rendues en France - Le TA de Montreuil juge que le fait d'assister et de conseiller une société établie en France ne constitue pas un élément suffisant permettant de penser que la prestation a été rendue en France. En revanche, le fait que les prestations comprenaient le démarchage de clients dans les pays anglo-saxons et les preuves produites des déplacements du contribuable dans ces pays, constituent des justifications utiles sur le lieu d'exercice de ses activités professionnelles.
TA Montreuil, 10e ch., 21 févr. 2023, n° 2001167, Seward, concl. C. Noël, C+ (V. annexe 5)
Abus de droit - Transfert fictif de siège social à l'étranger - Montage artificiel - Un contribuable fiscalement domicilié en France détenait la quasi-intégralité des parts sociales de deux SARL superposées dont la société fille avait encaissé le prix de vente de titres de participations pour plusieurs millions d'euros. Le siège social de ces deux SARL fut transféré au Royaume-Uni suivant un régime de neutralité fiscale et les deux sociétés limited de droit anglais constituées à cette occasion ne développèrent aucune activité. Ces sociétés procédèrent cependant à une série de virements bancaires à d'autres sociétés étrangères appartenant au même contribuable fiscalement domicilié en France. Après avoir encaissé les sommes correspondant au produit de cession des titres de participation sur un compte en Lettonie, puis l'avoir transféré au Luxembourg, le contribuable fiscalement domicilié en France finança des investissements personnels au moyen de ces sommes. Le Comité de l'abus de droit fiscal rejoint l'analyse de l'administration sur le caractère fictif des transferts de siège social qui s'inscrivent dans le cadre d'un montage artificiel.
CADF, 4 févr. 2022, séance n° 1, n° 2021-29 (V. annexe 3)
Abus de droit - Société constituée par un trust concluant un prêt fictif avec le bénéficiaire du trust - Le constituant et bénéficiaire d'un trust britannique discrétionnaire et irrévocable devint résident fiscal français à partir de 2004. Le trust constitua une société de droit britannique qui conclut des contrats de prêt avec le constituant et bénéficiaire du trust. L'administration considéra que des sommes payées par le trust au constituant et bénéficiaire constituaient des distributions de produits du trust. Bien que le contribuable prétende qu'il s'agissait de sommes prêtées par la société détenue par le trust et qu'elle fournisse à ce titre des contrats de prêt enregistrés, l'administration, suivie en cela par le Comité, considéra qu'il s'agissait de prêts fictifs. Plusieurs éléments factuels viennent à l'appui de cette analyse, dont notamment : l'absence de transit des sommes payées par le trust sur les comptes bancaires de la société « prêteuse », l'absence d'actifs de la société prêteuse et de la moindre opération d'exécution des contrats de prêt par elle, l'absence de paiement par le contribuable des intérêts contractuels, la constatation systématique d'une provision pour intérêt non recouvrable à la clôture du bilan de chaque exercice pour la société prêteuse, etc. Ces opérations constituaient donc, pour le Comité, un abus de droit fiscal.
CADF, 5 mai 2022, séance n° 2, n° 2022-01 (V. annexe 4)
#Auteur: Polina¤ KOURALEVA-CAZALS
#Qualités: Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc
#Auteur: Arnaud¤ de NANTEUIL
#Qualités: Professeur à l’Université Paris Est Créteil
Si la plupart des conventions fiscales prévoient la procédure amiable en tant que mode de règlement des différends entre les États, celle-ci se révèle souvent insuffisante pour garantir la sécurité juridique du contribuable et l’élimination complète des doubles impositions. Les mesures introduites à la suite du projet anti-BEPS et qui pourraient être introduites dans le cadre des Piliers 1 et 2 de l’OCDE, rendent particulièrement urgente l’introduction des mécanismes plus efficaces de règlement des différends. C’est ainsi qu’en 2017, l’OCDE a modifié son modèle de convention fiscale pour y prévoir le recours à une procédure dite d’arbitrage et que l’UE a adopté une directive conduisant à l’introduction d’une procédure similaire sur le territoire des États membres. Pourtant, ces mécanismes ne présentent pas les caractéristiques essentielles de l’arbitrage (V. § 15). Ainsi, si le recours à l’arbitrage en matière fiscale est possible (V. § 8), il reste extrêmement rare en pratique. Les auteurs envisagent dans la suite de l’article des pistes qui pourraient réconcilier l’efficacité d’un vrai arbitrage avec la souveraineté des États (V. § 27), ainsi que la possibilité du recours à l’arbitrage sur le fondement de traités autres que les conventions fiscales pour résoudre les différends portant sur l’application des conventions fiscales (V. § 20).
Fraude fiscale - Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) - Mc Donald's - Prix de transfert - Actifs incorporels - Le groupe Mc Donald's signe une convention judiciaire d'intérêt public afin d'éviter toute poursuite pénale au titre des prix de transfert liés à la réorganisation de la gestion de ses actifs incorporels. La CJIP prévoit une amende d'intérêt public d'un montant total de 508 482 964 €. Plusieurs sociétés françaises du groupe ont par ailleurs signé un règlement d'ensemble avec l'administration fiscale, mettant fin au contentieux administratif. La somme des droits et pénalités dus au titre du règlement d'ensemble et de l'amende d'intérêt public s'élève à la somme totale de 1 245 624 269 €.
Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) entre le procureur de la République financier près le tribunal judiciaire de Paris et les sociétés Mc Donald's France, Mc Donald's system of France LLC et MCD Luxembourg Real Estate S.A.R.L. , 31 mai 2022. - O rdonnance de validation du Président du Tribunal judiciaire de Paris , 16 juin 2022
Personnes bénéficiant d'un régime fiscal privilégié - CGI, art. 238 A - Remise en cause de l'existence d'une société prestataire établie à l'étranger - Le TA de Lyon valide un redressement sur le fondement de l'article 39, 1° du CGI, en considérant que le caractère déductible des charges en litige, exposées auprès d'une société étrangère dont l'existence est douteuse ne pouvait être regardé comme établi en l'espèce. Il ne s'est donc pas prononcé sur le second fondement de la rectification, à savoir le 1er alinéa de l'article 238 A du CGI, dont le rapporteur public avait soutenu qu'il ne peut s'appliquer dans le cas d'une société dont l'existence (et donc l'établissement dans un État à fiscalité privilégiée) est douteuse.
TA Lyon, 6e ch., 1er mars 2022, n° 2005494, Sté U10 CORP, concl. M. Sautier (V. annexe 3)
Transparence - Déclaration des avoirs étrangers - Renforcement des sanctions en cas de manquement - La loi de finances pour 2022 interdit l'utilisation des déficits catégoriels et des réductions d'impôts dans le calcul des rappels dus aux manquements aux obligations déclaratives concernant les trusts, les comptes bancaires, les contrats de capitalisation et d'assurance vie à l'étranger. Cette mesure s'applique à compter de l'imposition des revenus de l'année 2021 et de l'impôt sur la fortune immobilière dû au titre de l'année 2022.
L. n° 2021-1900, 30 déc. 2021 de finances pour 2022, art. 140 : JO 31 déc. 2021, texte n° 1 (texte et travaux préparatoires : V. annexe 2)
Revenus des structures soumises hors de France à un régime fiscal privilégié (CGI, art. 123 bis) - Nouvelle présomption de détention des constituants de trusts - La loi de finances pour 2022 complète l'article 123 bis, 4 ter du CGI en étendant la présomption de détention de 10 % aux constituants ou bénéficiaires réputés constituants de trusts. Cette nouvelle présomption, qui s'applique à compter du 1er janvier 2022, ne saurait être renversée que par la seule preuve de la réalité du caractère irrévocable du trust et du pouvoir discrétionnaire de gestion de son administrateur.
L. n° 2021-1900, 30 déc. 2021 de finances pour 2022, art. 133 : JO 31 déc. 2021, texte n° 1 (texte et travaux préparatoires : V. annexe 5)
Fraude à la loi - Abus de convention fiscale internationale - Convention fiscale franco-suisse (1966) - Montage artificiel visant à appréhender des bénéfices sous la forme de remboursements de créances - La CAA de Paris juge que la cession temporaire de droits incorporels suivie d'une série de transferts de créances et de prêts dont la combinaison permet à une société de bénéficier d'amortissements et d'éluder le paiement de la retenue à la source conventionnelle prévue à l'article 11 de la convention franco-suisse (relatif aux dividendes) en entrant artificiellement dans le champ de l'article 15 de cette convention (relatif aux plus-values) constitue un montage artificiel représentatif d'un abus de droit par fraude à la loi.
CAA Paris, 5e ch., 24 juin 2021, n° 19PA01941, Sté Navajo (V. annexe 3)
#Auteur: Mark L.¤ BRABAZON
#Qualités: Senior Counsel at the New South Wales bar
#Qualités: Senior Fellow of Melbourne Law School, University of Melbourne
#Auteur: Polina¤ KOURALEVA-CAZALS
#Qualités: Professeur à l’Université de Savoie Mont Blanc
Division of ownership by usufruct is an ancient legal institution, which confers on one person (the usufructuary) the right to enjoy and to perceive income from an asset that belongs to another (the bare-owner). However, the consequences of the division of ownership on the taxation are still sometimes unclear and its role in international taxation has been little studied. The French tax regime relies on an implicit assumption that the division of ownership should have no impact on the amount of taxable income from the assets subject to usufruct. The main problem is the identification of the taxpayer (the bare-owner or the usufructuary), which is often difficult even in a purely domestic context and may be divergent in an international context. These divergences can give rise to conflicts of attribution and double taxation or non-taxation. This article considers the application of tax treaties to income derived from assets subject to usufruct, focusing on conflicts of attribution. The matter is examined principally with reference to the OECD Model1 and provisions of the Multilateral Instrument (MLI)2, supplemented by reference to bilateral treaty practice, and a preferred interpretation is proposed.
#Auteur: Polina¤ KOURALEVA-CAZALS
#Qualités: Professeur à l’Université de Savoie Mont Blanc
Le démembrement du droit de propriété est une institution ancienne, dont les origines remontent au droit romain1. Il n’est pas défini en tant que tel en droit français. Seul le droit de l’usufruit est défini à l’article 578 du code civil comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ». La dissociation ainsi introduite entre le propriétaire (qui devient « nu ») et l’usufruitier présente de nombreux intérêts, tant dans une perspective successorale que dans celle de gestion des affaires. Le droit laisse également aux parties une marge de liberté importante dans l’organisation de leurs rapports. Mais le démembrement soulève également de nombreuses questions, tant juridiques que fiscales, dont l’appréhension s’est développée au gré des différentes théories juridiques2 et des évolutions de la société3.
Aujourd’hui, le développement des situations internationales et l’articulation entre les différentes législations applicables constituent un aspect crucial et inévitable tant de la gestion patrimoniale que du monde des affaires. Dans ce contexte, le démembrement apparaît comme un outil intéressant, flexible, et susceptible de s’adapter à différentes situations. Cependant, ses conséquences fiscales sont si peu précisées, qu’il en résulte une insécurité juridique considérable. Celle-ci, plus que de nombreux dispositifs anti-abus, dissuade les conseils et les contribuables d’y avoir recours. Mais les questions d’imposition des revenus ou des biens soumis au démembrement dans un contexte international ne peuvent pas toujours être évitées, et il peut même être essentiel de s’y confronter pour préserver l’efficacité du droit français. En effet, le démembrement initialement conçu dans le contexte de droit interne peut se retrouver plus tard entaché d’un élément d’extranéité. Parmi les exemples courants, on peut citer celui des parents (résidents fiscaux français) qui donnent la nue-propriété des titres d’une société française à un enfant (résident fiscal français). Plusieurs années plus tard, cet enfant accepte un poste à l’étranger et déménage avec sa famille dans un autre pays.
Il ne faut pas se contenter de subir ce type de situations. Le droit est un outil qui vise à faciliter et favoriser la bonne gestion du patrimoine et des affaires. Si les abus, surtout en matière fiscale, doivent être sévèrement sanctionnés, le caractère libéral de notre système juridique doit être préservé. En effet, il s’agit d’un des piliers de la compétitivité française sur la scène internationale. Il est donc crucial de protéger et développer des instruments juridiques facilitant l’organisation patrimoniale et la gestion des affaires, dont le démembrement. Or, le peu de précisions apportées de façon générale en matière de fiscalité du démembrement et l’absence de précisions apportées sur la fiscalité du démembrement dans le contexte international (en comparaison, par exemple, avec les trusts, dont le cas est souvent expressément traité dans les conventions), peuvent se révéler particulièrement décourageants.
L’objectif de ce dossier est donc d’offrir un ensemble d’études permettant, dans un premier temps, d’identifier les questions et les difficultés susceptibles d’être posées par le démembrement à l’international. Il tente ensuite, dans les limites de ce que peut apporter une réflexion doctrinale, de trouver des réponses à ces questions et des solutions à ces problèmes.
La première crainte d’un conseil lorsqu’il envisage le démembrement du droit de propriété dans un contexte international peut être le défaut de reconnaissance dans l’autre État et l’insécurité juridique et fiscale en résultant. Pourtant, le risque doit être nuancé. Le droit international privé offre un éventail de solutions permettant d’articuler les différentes législations civiles applicables, de façon à permettre de préserver les droits des parties (E. Fohrer-Dedeurwaerder). D’autre part, en droit fiscal, même les pays anglo-saxons, s’ils ignorent le démembrement, ont progressivement développé des solutions d’intégration du démembrement dans leur système fiscal, dont le résultat final n’est certes pas toujours satisfaisant (S. Auféril, X. Guérin, F. Karaman, E. Reed et A. Jones).
Au-delà de l’articulation des législations nationales (civiles et fiscales), se pose la question d’application des conventions fiscales. Pour celles concernant les impôts sur le revenu, la principale difficulté est liée à des divergences entre les législations nationales quant à l’attribution des revenus et les doubles impositions économiques susceptibles d’en résulter. Le phénomène n’est pourtant pas propre au démembrement et il a déjà suscité beaucoup d’intérêt (et un début de solutions) concernant les trusts et les sociétés de personnes. Ainsi, faute de solutions expresses dans les conventions, une interprétation des clauses existantes peut réduire les risques fiscaux (M. Brabazon et P. Kouraleva-Cazals). Quant aux conventions en matière de droits de mutation à titre gratuit, leur application en cas de démembrement du droit de propriété soulève davantage la question de la répartition de la valeur des biens. Leur impact semble globalement plus avantageux pour le contribuable (A. Périn-Dureau).
Enfin, aujourd’hui, aucune analyse d’un régime fiscal n’est complète tant que les modalités des règles anti-abus n’ont été étudiées. L’enjeu d’application de ces règles peut se révéler particulièrement important dans le contexte du démembrement, lequel provoque souvent une certaine méfiance de la part de l’administration fiscale (au moins française). Pourtant là encore, il y a beaucoup de questions et peu de certitudes (F. Le Mentec).
Si ce dossier propose des pistes d’analyse pour les conseils confrontés à des situations de démembrement à l’international (voulu ou non par les parties), il est aussi un appel à plus de clarification et de protection (et pas seulement de sanction !) de la part du législateur et des négociateurs des conventions fiscales françaises.
États et territoires non coopératifs (ETNC) - Révision de la liste de l'UE - Le Conseil de l'Union européenne adopte une liste révisée de l'Union européenne des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales, ajoutant à la liste la Dominique et retirant la Barbade. La liste comprend désormais les douze États et territoires suivants : Anguilla, la Dominique, les Fidji, Guam, les Îles Vierges américaines, les Palaos, le Panama, les Samoa, les Samoa américaines, les Seychelles, Trinité-et-Tobago, le Vanuatu.
Conseil de l'UE, actualité, 22 févr. 2021 (V. annexe 5)
États et territoires non coopératifs (ETNC) - Actualisation de la liste française - Articulation de cette liste avec la liste de l'UE - La liste française des ETNC, prévue à l'article 238-0 A du CGI et figurant à l'arrêté du 12 février 2010, est modifiée : les Bahamas et Oman sont retirés de cette liste à compter du 4 mars 2021 (lendemain de la publication de l'arrêté) ; Anguilla, Dominique, Palaos, Panama et les Seychelles sont ajoutés à cette liste à compter du 1er juin 2021 (1er jour du 3e mois suivant la publication de l'arrêté). La liste est ainsi la suivante : Anguilla, Dominique, Fidji, Guam, Îles Vierges américaines, Îles Vierges britanniques, Palaos, Panama, Samoa, Samoa américaines, Seychelles, Trinité-et-Tobago, Vanuatu. En outre, des commentaires administratifs, qu'on peut lire en parallèle avec l'arrêté mettant à jour la liste française des ETNC, apportent quelques précisions sur l'articulation de la liste française avec la liste de l'UE.
BOI-INT-DG-20-50, BOI-INT-DG-20-50-10, BOI-INT-DG-20-50-20, BOI-INT-DG-20-50-30 et BOI-ANNX-000480, 24 févr. 2021. - BOFiP, Actualité, 24 févr. 2021
Instrument multilatéral de l'OCDE - Commentaires de l'administration fiscale française - L'administration fiscale publie ses commentaires de l'Instrument multilatéral de l'OCDE, qui comportent quelques précisions supplémentaires sur les options choisies par la France.
BOI-INT-DG-20-25, 16 déc. 2020
OCDE : développements récents - L'OCDE a publié deux rapports à destination du G20. Le premier rapport, publié en octobre 2020, était à destination des Ministres de finances. Le second rapport, publié en novembre 2020 a été adressé aux chefs d'État du G20. Les deux rapports présentent les dernières avancées sur les différents axes de travail de l'OCDE dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.
OECD Secretary-General Tax Report to G20 Finance Ministers and Central Bank Governors (Saudi Arabia), oct. 2020
Union européenne - Fiscalité équitable et efficace - Le Conseil de l'UE adopte des conclusions sur une fiscalité équitable et efficace en période de relance. Il y réaffirme son soutien au travail mené par la Commission dans le cadre de son Paquet en faveur d'une fiscalité équitable et simplifiée proposé le 15 juillet 2020.
Cons. UE, concl. 27 nov. 2020 sur une fiscalité équitable et efficace en période de relance, sur les défis fiscaux liés à la transformation numérique et sur la bonne gouvernance fiscale dans l'UE et au-delà, n° 12979/20
États et territoires non coopératifs (ETNC) - Révision de la liste de l'UE - Le Conseil de l'UE modifie la liste noire de l'Union européenne des États et territoires non coopératifs. Ainsi, Anguilla a été ajoutée à la liste, alors que les îles Caïmans et Oman ont été retirés. La liste comprend donc désormais : les Samoa américaines, Anguilla, la Barbade, les Fidji, Guam, les Palaos, le Panama, le Samoa, les Seychelles, Trinité-et-Tobago, les Iles Vierges américaines et le Vanuatu.
Conseil de l'UE, communiqué, 6 oct. 2020
États et territoires non coopératifs (ETNC) - Liste noire de l'UE - Le Parlement européen reconnaît l'intérêt et l'influence de la liste noire de l'UE, mais il en constate également des insuffisances. Il demande ainsi de modifier en profondeur le mode d'élaboration et les critères d'inscription de la liste en question.
PE, résolution 21 janv. 2021 sur la réforme de la liste des paradis fiscaux de l'UE, n° 2020/2863 (RSP)
Fraude fiscale - Crise sanitaire - Recommandations de l'OCDE à l'attention des administrations fiscales nationales - Dans le contexte du COVID-19, l'OCDE identifie les risques liés aux circonstances actuelles et les éléments factuels qui doivent attirer tout particulièrement l'attention des administrations fiscales nationales.
OCDE, Tax administration : privacy, disclosure and fraud risks related to COVID-19, 26 mai 2020
Fraude et évasion fiscales - Union européenne - Le Conseil publie un rapport sur les avancées en matière fiscale. Le Parlement européen crée une sous-commission aux affaires fiscales. Quant à la Commission européenne, elle crée un observatoire des questions fiscales européennes.
Conseil ECOFIN, Rapport sur les questions fiscales, 5 juin 2020
Abus de droit - Abus de droit rampant - Pouvoir général de requalification de l'administration - Opération de lease and lease-back entre la France et les États-Unis - Dispositif hybride - La CAA de Versailles valide l'usage par l'administration de son pouvoir général de requalification, et rejette l'abus de droit rampant, à propos de contrats de location et de sous-location relatifs à un immeuble new-yorkais (opération de lease and lease-back). Appréciant l'opération dans sa globalité, l'administration, en recherchant la commune intention des parties révélée lors de l'exécution des contrats, a requalifié les flux financiers associés aux contrats, considérés par le contribuable comme des revenus immobiliers, en intérêts, qui se trouvent dès lors imposables à l'IS en France, sans que le crédit d'impôt prévu par l'article 24 de la convention franco-américaine ne soit applicable.
CAA Versailles, 1re ch., 3 mars 2020, n° 18VE01207, SA Natixis Lease Immo, concl. N. Chayvialle (V. annexe 6)
Lutte contre l'érosion de la base d'imposition - Propositions de l'OCDE - L'OCDE publie un rapport d'étape destiné au G20 et portant sur les projets en cours en matière fiscale. Le maintien de ces projets a été plus récemment réaffirmé. Ils sont considérés comme faisant partie du programme de rétablissement des finances publiques à la suite des mesures économiques exceptionnelles rendues nécessaires par la pandémie.
OECD, OECD Secretary-General Tax Report to G20 Finance ministers and Central Bank Governors (Riyadh, Saudi Arabia), févr. 2020
États et territoires non coopératifs (ETNC) - Mesures de soutien de l'État en faveur des entreprises - Exclusion - Par voie de circulaire, le Ministre de l'économie et des finances a demandé à la Direction générale du Trésor que les mesures de soutien de l'État à la trésorerie des entreprises (prêts garantis par l'État, reports de charges fiscales et sociales) ne bénéficient pas aux grandes entreprises qui « possèdent leur siège fiscal ou une filiale sans substance économique dans un État non coopératif en matière fiscale ».
Minefi, circulaire, 23 avr. 2020. - Gouvernement, FAQ, Engagement de responsabilité pour les grandes entreprises bénéficiant de mesures de soutien en trésorerie, 5 mai 2020
Lutte contre l'érosion de la base d'imposition - Propositions de l'OCDE - Dans le cadre des travaux pour faire face aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie, le Secrétariat de l'OCDE publie au titre du Pilier 2 une proposition globale de lutte contre l'érosion de la base d'imposition (GloBE) et sollicite les commentaires du public.
OCDE, Proposition globale de lutte contre l'érosion de la base d'imposition, Pilier 2, document de consultation publique, 8 nov.-2 déc. 2019
Défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie - Conseil ECOFIN - Les ministres de l'économie et des finances de l'UE ont fait le point sur l'avancement des travaux en cours à l'OCDE sur les défis fiscaux de l'économie numérisée et ont établi un programme de travaux au sein du Conseil sur cette question.
Conseil ECOFIN, 8 nov. 2019
Défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie - Parlement européen - Le Parlement européen commente les deux piliers du projet de l'OCDE relatif aux défis fiscaux de l'économie numérisée.
PE, Une fiscalité équitable dans une économie numérisée et mondialisée : BEPS 2.0 : résolution 2019/2901(RSP), 18 déc. 2019
#Auteur: Polina¤ KOURALEVA-CAZALS1
#Qualités: Professeur à l’Université de Savoie Mont Blanc
Lorsqu’un contrôle fiscal porte sur des sociétés exerçant une activité à l’international, toute modification de la base imposable est susceptible d’entraîner une double imposition. Les conventions fiscales internationales et certaines normes de l’UE permettent alors au contribuable de demander le recours à une procédure amiable entre les États, destinée à régler le différend et éviter cette double imposition. Le développement de la pratique transactionnelle risque-t-il de mettre en danger les droits du contribuable ? En effet, tant la transaction fiscale (V. § 7) que la convention judiciaire d’intérêt public (V. § 10) présentent certaines spécificités, susceptibles de poser des difficultés si le contribuable souhaite ultérieurement demander le recours à la procédure amiable. Cependant, ces difficultés semblent pouvoir être surmontées. En revanche, lorsqu’une transaction prévoit le paiement de sanctions (certaines majorations fiscales ou amendes pénales) par le contribuable, son droit à la procédure amiable risque d’être remis en cause (V. § 14).
Fraude et évasion fiscales - Lutte contre les montages transfrontaliers - Rapport d'information - La mission d'information sur le bilan de la lutte contre les montages fiscaux transfrontaliers, a déposé son rapport à l'Assemblée nationale.
AN, Comm. fin. et aff. étrangères, rapport n° 2252, 25 sept. 2019
Obligation fiscale illimitée pour les nationaux français - Impôt universel - La Commission des finances de l'Assemblée nationale a déposé un rapport en conclusion des travaux d'une mission d'information, relative à l'impôt universel, envisagé comme une mesure de lutte contre les cas d'abus ou de fraude aux règles de l'impôt et qui permettrait de réduire l'intérêt des départs de France pour des motifs fiscaux.
AN, Comm. fin., rapport n° 2246, 17 sept. 2019
Fraude fiscale - Convention judiciaire d'intérêt public - Le procureur de la République financier près le TGI de Paris et l'Agence française anticorruption ont publié des lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d'intérêt public (CJIP). Après une première CJIP pour fraude fiscale conclue en juin 2019, une seconde CJIP a été conclue en septembre 2019 dans l'affaire Google.
PNF et AFA, Lignes directrices sur la mise en œuvre de la convention judiciaire d'intérêt public, 26 juin 2019
Groupe Code de conduite - Actualité - Le Groupe Code de conduite se réorganise et rend ses procédures plus transparentes ; la redéfinition de son mandat est suspendue, compte tenu des travaux en cours à l'OCDE.
Conseil de l'UE, Rapport au Conseil ECOFIN, 27 mai 2019, n° 9653/19, FISC 275, ECOFIN 516
Pays et territoires non coopératifs - Révision de la liste de l'UE - La dernière liste des pays et territoires non coopératifs de l'UE, publiée au JOUE le 21 juin 2019 contient 11 États : Samoa américaines, Belize, Fidji, Guam, Ile Marshall, Oman, Samoa, Trinité-et-Tobago, Emirats Arabes Unis, Ile Vierges américaines et Vanuatu. Cette liste récapitule les changements apportés lors des réunions ECOFIN du 17 mai (retrait de Aruba, la Barbade et les Bermudes) et du 14 juin 2019 (retrait de Dominique).
Conseil, Liste de l'UE des pays et territoires non coopératifs à des fins fiscales, 2019/C 210/05 : JOUE 21 juin 2019, C 210/8
Comportements fiscaux répréhensibles - Définition - Réflexions générales - En matière d'évasion fiscale, les juristes anglais, appréhendent le comportement des contribuables à travers la définition de l'intention du législateur, qui ne peut se résumer au lien entre un avantage fiscal et la substance économique ; pour les institutions européennes, le critère de la substance économique semble en revanche déterminant.
PE, Résolution sur la criminalité financière, la fraude fiscale et l'évasion fiscale (2018/2121 (INI)), 26 mars 2019
Lutte contre l'érosion de la base d'imposition - Concurrence fiscale dommageable - Impôt minimum mondial - Perspectives - Avec la proposition d'un impôt minimum mondial, l'OCDE, soutenue notamment par le FMI, envisage pour la première fois de combattre le faible niveau d'imposition en tant que tel, sans aucun autre critère supplémentaire, y compris dans les situations qui ne sont pas dépourvues de substance économique.
OCDE, Relever les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie, 23 janv. 2019
Lutte contre la fraude fiscale et l'évasion fiscales - Propositions du Parlement européen - Parmi d'autres propositions de la commission TAX3 adoptées par le Parlement, le Parlement encourage vivement l'adoption des différentes propositions législatives de la Commission en matière fiscale et formule de nombreuses observations à propos de la liste de l'UE des pays et territoires non coopératifs.
PE, Résolution sur la criminalité financière, la fraude fiscale et l'évasion fiscale (2018/2121 (INI)), 26 mars 2019
Lutte contre l'évasion fiscale - Évaluation de l'efficacité des mesures - Royaume-Uni - Le Ministre des finances a déposé un rapport sur l'efficacité des mesures destinées à lutter contre l'évasion fiscale.
HM Treasury, HM Revenue & Customs, Tackling tax avoidance, evasion, and other forms of non compliance, 13 March 2019
Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales - Indicateurs de performance - Ces dernières années ont été très riches en mesures destinées à lutter contre la fraude et l'évasion fiscale internationales. Vient aujourd'hui le temps d'évaluer leur efficacité et de poser la question des critères de cette évaluation.
2. Un des objectifs de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales consistait à renforcer la transparence fiscale. Lors d'une réunion de G20 en juin 2016, il a été convenu de l'évaluer à travers trois critères : la mise en œuvre de la norme OCDE en matière d'échanges de renseignements à la demande2, l'engagement de mettre en œuvre la norme OCDE en matière d'échange automatique3, ainsi que l'adhésion à la convention multilatérale de l'OCDE en matière d'assistance administrative mutuelle. Dans un rapport remis aux É tats du G20 en dé cembre 2018, l'OCDE constate, au regard du premier de ces critères, que le nombre de demandes de renseignement a augmenté de manière significative au cours des dernières années. Le rapport ne précise pas le pourcentage de ces demandes qui ont pu obtenir des réponses satisfaisantes. Il indique cependant que 90% des États évalués par leurs pairs (soit une centaine d'États) ont été jugés comme étant en conformité ou “largement en conformité” avec la norme de l'OCDE. Seul un État (la république de Trinité-et-Tobago) est considéré comme n'étant pas conforme et cinq autres États ne le sont que partiellement. Quant à l'échange automatique de renseignements, l'OCDE constate que sur les 98 juridictions qui se sont engagées à mettre en œuvre la norme de l'OCDE dans ce domaine, 83 ont déjà commencé à procéder à des échanges automatiques. 15 juridictions ont en revanche encore des progrès à faire, soit en apportant des modifications nécessaires à la législation interne, soit en développant leur réseau conventionnel. Enfin, 126 juridictions ont adhéré à la convention multilatérale en matière d'assistance administrative4.
Il est intéressant de noter que pour l'établissement de la liste européenne des États et territoires non coopératifs, le respect du critère de la transparence fiscale (V. § 18) est aligné sur les résultats d'évaluation par les pairs organisée par l'OCDE. Ainsi, figurent sur la liste de l'UE les États et territoires qui ont été considérés comme n'étant pas en conformité avec les normes de l'OCDE pour deux des trois critères susmentionnés5. En revanche, l'article 238-0 A du CGI se réfère uniquement au troisième critère, celui relatif à l'assistance administrative. En effet, l'exclusion de la liste des ETNC des États ayant conclu des conventions d'assistance administrative avec au moins douze autres États ou territoires fait implicitement référence à l'un des critères d'inscription sur la liste dite « blanche » - par opposition aux listes « noire » et « grise » - de l'OCDE. On peut pourtant se demander si cette référence à la conclusion de conventions administratives avec douze États est encore pertinente depuis l'adoption de la convention multilatérale dans ce domaine. En outre, pour l'OCDE il ne s'agissait que d'un critère parmi d'autres. Elle a ainsi retiré tous les États de sa liste « noire » au motif qu'ils pratiquaient désormais des échanges effectifs de renseignements, sans mentionner le nombre de conventions d'assistance administrative qu'ils avaient conclu. Il faut donc souligner que tous les États qui figurent sur la liste française des ETNC sont jugés être en conformité (ou « largement en conformité ») avec la norme OCDE en matière d'échanges de renseignements à la demande.
À noter également que les progrès accomplis en matière de la transparence fiscale n'empêchent pas l'émergence de nouvelles propositions. Le Parlement européen appelle ainsi le groupe « Code de conduite »6 à évaluer tous les projets d'amnistie fiscale envisagés par les États membres7. La mise en place, récente, du guichet de régularisation pour les entreprises pourrait ainsi être concernée8.
3. Les critères d'évaluation des mesures de fond destinées à lutter contre la fraude et l'évasion fiscales sont moins uniformes. Si les références aux travaux de l'OCDE sont également nombreuses tant au niveau national qu'au niveau de l'UE, l'ensemble est moins cohérent.
Le projet BEPS de l'OCDE vise à lutter contre « des dispositifs permettant soit de faire disparaître des bénéfices, soit de les transférer artificiellement vers des zones à fiscalité faible ou nulle »9. C'est ce phénomène que désigne l'expression « érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices » (ou « base erosion and profits shifting » en anglais, ayant donné lieu à l'abréviation BEPS). À l'issue de ce projet, l'OCDE a élaboré un cadre inclusif destiné à accompagner les États dans la mise en œuvre de ces mesures et à permettre l'évaluation des États par leurs pairs. Cette évaluation s'articule au regard des quatre standards minimum : celui relatif à l'élimination des pratiques fiscales dommageables (Action 5), celui qui vise à empêcher l'utilisation abusive des conventions fiscales, notamment le chalandage fiscal (Action 6), celui destiné à améliorer la transparence au moyen des déclarations pays par pays (Action 13) et, enfin, le standard relatif à l'efficacité́ des mécanismes de règlement des différends (Action 14). Le dernier rapport adressé par l'OCDE au G20 constate ainsi que sur les 234 mesures nationales jugées dommageables, 134 ont déjà été modifiées ou abolies. Le rapport vise également la modification de 1400 conventions fiscales via l'instrument multilatéral afin d'y inclure les clauses anti-abus. Les premières déclarations pays par pays ont eu lieu en été 2018 et donneront lieu à une évaluation publiée en 2019. En revanche, pour le dernier critère, celui de l'efficacité de la résolution des différends, les résultats sont incomplets. Certes, l'OCDE fournit les pourcentages quant au résultat des procédures amiables : 80% des procédures amiables portant sur les prix de transfert ont abouti à une solution, dont 65% ont permis une élimination complète des doubles impositions. En revanche, elle n'indique pas le nombre - et son évolution dans le temps - des procédures amiables10.
Au niveau de l'UE, la préoccupation porte, de façon générale, sur la préservation des recettes des États membres. La Commission européenne évalue ainsi les montants des recettes fiscales non recouvrées - le « tax gap » - quelles qu'en soient les raisons, y compris lorsque cette perte de recettes est due au manque de clarté de la législation ou encore à la négligence de l'administration11. Quant à l'évaluation des mesures destinées à protéger les recettes fiscales de comportements repréhensibles de la part des contribuables ou de la part d'autres États, l'élaboration des critères devient floue. Ainsi, si l'UE connaît également la notion de « mesures fiscales dommageables », celles-ci ne s'inscrivent pas expressément dans un cadre plus vaste de la lutte contre les situations où l'apparence ne correspond pas à la réalité, même si certains critères du caractère « dommageable » y renvoient12. Cette notion a pris une importance particulière depuis qu'elle a été intégrée comme un des critères de la liste noire de l'Union européenne (V. § 21). C'est à ce titre d'ailleurs que la Suisse pourrait se retrouver sur cette liste13.
Lorsqu'on cherche, en revanche, à évaluer le comportement des contribuables, la Commission distingue bien la fraude fiscale, qui correspond pour la Commission aux comportements illégaux, difficiles à évaluer. Les seules statistiques disponibles sont celles relatives à l'économie grise14. Les autres types de comportement, en principe légaux, sont moins bien distingués par la Commission et les actes législatifs ne permettent pas de l‘éclairer. La directive anti-évasion fiscale (dite ATAD) ne définit pas le phénomène qu'elle cherche à combattre, même si de nombreuses références au projet BEPS laissent entendre qu'elle s'inscrit dans le prolongement de l'action de l'OCDE et cherche donc à lutter contre le même phénomène d'érosion de la base imposable15. La directive adoptée en 2018 pour imposer des obligations déclaratives concernant des dispositifs transfrontières (voir §21) se réfère tantôt à l'évasion fiscale, tantôt à la planification fiscale agressive. Le Conseil y renonce expressément à toute tentative de définition, lui substituant un faisceau d'indices classés en fonction de leurs caractéristiques et de leur importance16. Cependant, un critère apparaît indirectement, puisque les indices en question visent à établir que « l'avantage principal ou l'un des avantages principaux qu'une personne peut raisonnablement s'attendre à retirer d'un dispositif, compte tenu de l'ensemble des faits et circonstances pertinents, est l'obtention d'un avantage fiscal »17. Le critère ainsi formulé fait perdre de vue l‘idée de dissociation entre l'apparence et la réalité. En effet, non seulement il ne s'y réfère pas, mais il se définit par rapport aux effets prévisibles de la situation et non par rapport aux objectifs essentiels poursuivis par le contribuable, contrairement, par exemple, à la jurisprudence de la CJUE18.
Cette confusion dans les définitions se retrouve dans les critères d'évaluation de l'efficacité des politiques nationales. Une publication de la Commission européenne intitulée « Les indicateurs de la planification fiscale agressive » part du postulat que « l'évasion fiscale » et la « planification fiscale agressive » sont des synonymes et correspondent à un comportement qui cherche à réduire la charge fiscale en allant à l'encontre de l'esprit de la loi19. Pour mesurer l'importance de ces phénomènes, la Commission se réfère à plusieurs indicateurs, telle la différence entre le taux théorique et le taux réel d'imposition des sociétés, mais aussi le montant d'investissements étrangers directs en pourcentage du PIB du pays. Ce dernier critère est particulièrement significatif, selon la Commission, lorsque l'importance de cet investissement ne peut être expliquée par des considérations économique20. Ainsi appréhendé, il peut refléter tant les comportements contraires à l'esprit de la loi que des mesures fiscales dommageables destinées au contraire à favoriser ce type de comportement.
Certains de ces indicateurs sont désormais utilisés dans le cadre d'évaluation des politiques économiques et budgétaires des États membres lors du semestre européen21. Les députés - tant français22 qu'européens23 - ont salué cette initiative et ont appelé de leurs vœux la pérennisation de cette pratique. L'évaluation des mesures fiscales nationales dans ce contexte est officiellement destinée à préserver les recettes publiques de l'État en question. Il s'agit pourtant, en grande partie, de mesures fiscales très attractives qui permettent d'accroitre significativement la base imposable, même si c'est au prix de la réduction du taux effectif d'imposition. Il n'est donc pas certain que ces mesures aboutissent à une réduction des recettes fiscales dans l'État en question. Elles font en revanche certainement partie des régimes fiscaux dommageables et à ce titre réduisent les recettes fiscales d'autres États. La Commission le reconnaît en précisant que « Les retombées négatives des stratégies de planification fiscale agressive des contribuables entre les États membres requièrent une action coordonnée des politiques nationales pour compléter la législation de l'UE »24. Sans remettre en cause la légitimité de la lutte ainsi menée par les institutions européennes, on ne peut que regretter la confusion autour des phénomènes concernés et le risque d'un glissement des critères juridiques vers des indicateurs économiques.
4. Au niveau national , la confusion entre les différents phénomènesest également fréquente. Madame Peyrol dénonçait ainsi l'utilisation sur le site de l'administration fiscale sous le titre de « coût de l'évasion fiscale » des statistiques relatives à la fraude fiscale, prises dans un rapport du Syndicat national Solidaires Finances Publiques. Elle en profitait pour appeler à la création d'un groupe de travail dont la mission serait de « mettre au point une méthode d'évaluation de la fraude et de l'évasion fiscales faisant consensus et systématiser l'évaluation annuelle de ces comportements »25.
En attendant la réalisation d'un tel projet, Madame Peyrol a pu apporter des précisions au contenu du document de politiques transversales (dits « DPT ») dédié à la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, joint au projet de loi de finances de l'année26. Destiné à l'information du Parlement, il contient, comme tous les DPT, des informations relatives aux objectifs de la politique concernée, les indicateurs de sa performance, ainsi que les dispositifs mis en place, pour l'année à venir, l'année en cours et l'année précédente. Le dernier DPT en date, consacré à la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, présente notamment le rendement des opérations de contrôle fiscal en isolant les poursuites de nature pénale et le contrôle des opérations internationales, ainsi que les rendements des dispositifs législatifs en matière de lutte contre l'évasion fiscale internationale. Il donne également des statistiques de recouvrement effectif des impôts rectifiés (qui ne tiennent pas compte des montants en sursis qui font l'objet d'un contentieux)27. Suite à l'amendement proposé par Madame Peyrol, la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a précisé que le DPT devra en outre contenir la liste des outils fiscaux en vigueur contre la fraude, l'évasion et l'optimisation fiscales en faisant état de leur utilisation, de leur rendement individuel et des modifications susceptibles d'être apportées pour améliorer leur performance28. À noter que le dernier DPT n'était pas concerné par cette réforme, étant donné qu'il était déposé en même temps que le projet de loi de finances pour 2019, soit le 24 septembre 2018, un mois avant l'entrée en vigueur de la loi relative à la lutte contre la fraude.
Il est intéressant de noter quelques incohérences entre les précisions apportées par la loi relative à la lutte contre la fraude et les recommandations du rapport d'information relatif à l'évasion fiscale internationale29. Ainsi, le rapport recommande de mesurer l'efficacité de l'abus de droit en tenant compte de son effet dissuasif et non de son rendement (qui pourrait être d'autant plus faible que l'effet dissuasif est fort)30. La même logique ne pourrait-elle pas s'appliquer à d'autres dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscale ? Il est également étonnant de voir que le Gouvernement est appelé à mesurer l'efficacité d'outils fiscaux destinés à lutter contre l'« optimisation fiscale », alors que Madame Peyrol rappelle dans le rapport le droit du contribuable au choix de l'option fiscale la moins onéreuse et s'attache à distinguer les comportements « fiscalement répréhensibles » de l'« optimisation fiscale »31.
Lutte contre la fraude et l'évasion fiscales - Économie numérique - Perspectives 2019 - Les questions d'imposition de l'économie numérique occupent une place majeure dans les travaux consacrés à l'évasion fiscale, même si elles posent davantage le problème d'une « juste imposition », voire de la concurrence fiscale entre les États. Pour y faire face, 2019 sera-t-elle l'année de l'imposition minimum mondiale ?
6. L'idée d'une imposition minimum mondiale a été proposée par l'Allemagne dans un contexte de doutes sur la pertinence de la taxe de 3% sur les services numériques32. Elle a été reprise par la France33 qui a récemment confirmé son intention de la promouvoir lors de sa présidence du G734. Cette idée a également été soumise au groupe de réflexion sur l'économie numérique (le « GREN »), organe subsidiaire du comité des affaires fiscales de l'OCDE, qui s'est engagé à rendre un rapport définitif sur les solutions d'imposition de l'économie numérique en 202035.
Ce projet constituerait une mesure complémentaire au système traditionnel de la répartition du droit d'imposer entre les États. Ainsi, si l'État à qui une convention fiscale attribue en priorité le droit d'imposer (qui serait, le plus souvent, l'État de source) prélève un impôt suffisant sur les bénéfices concernés, la répartition du droit d'imposer ne s'en trouve pas modifiée. En revanche, dans le cas contraire, un impôt supplémentaire pourra être prélevé soit par l'État de résidence du contribuable, soit par l'État du marché (de la résidence des consommateurs)36. Le fondement de l'imposition dans l'État du marché ne fait pourtant pas l'unanimité. L'OCDE a toujours considéré que le simple accès au marché ne constituait pas un degré suffisant d'intégration dans l'économie locale, susceptible de justifier une imposition37. À l'inverse, les États-Unis considèrent que l'accès au marché justifie une imposition tant en interne dans le système fédéral38 que vis-à-vis des sociétés étrangères39. Si l'obstacle théorique est dépassé, ce système éliminerait définitivement les doubles non-impositions, quelle qu'en soit la cause, et réduirait significativement l'impact de la concurrence fiscale entre les États. Une telle mesure irait ainsi bien au-delà de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.