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Emmanuel Joannard-Lardant est professeur agrégé de droit public à l’université Lumière – Lyon 2. Il s’intéresse particulièrement à la fiscalité internationale qu’il enseigne tant en France qu’à l’étranger.
Professeur de droit public, Université Lumière Lyon II
Transversales - Unité de recherche en Droit
Emmanuel Joannard-Lardant est professeur agrégé de droit public à l’université Lumière – Lyon 2. Il s’intéresse particulièrement à la fiscalité internationale qu’il enseigne tant en France qu’à l’étranger.
Fraude fiscale - Déclaration rectificative du contribuable - Rejet par l'administration fiscale - Dénonciation obligatoire au parquet par l'administration fiscale - La Cour de cassation juge que l'exonération des poursuites pénales dont peut bénéficier le contribuable qui a déposé spontanément une déclaration rectificative en application de l'alinéa 8 de l'article L. 228, I du LPF constitue une exception au mécanisme de dénonciation obligatoire prévu aux sept premiers alinéas de ce texte, qui doit être appréciée strictement. Il en résulte qu'une déclaration rectificative spontanée qui a été rejetée par l'administration fiscale ne saurait faire échapper à la mise en œuvre d'une dénonciation obligatoire les faits de fraude fiscale qui remplissent les critères énoncés aux alinéas 1 à 6 de l'article L. 228, I du LPF. Il n'appartient pas au juge pénal d'apprécier la validité de ce rejet qui relève du contrôle du juge de l'impôt. Ainsi l'alinéa 8 de l'article L. 228, I précité n'exclut-il l'application du I aux contribuables ayant déposé spontanément une déclaration rectificative que lorsque celle-ci n'a pas été rejetée par l'administration fiscale.
Cass. crim., 23 mai 2024, n° 23-80.025, FS-B (V. annexe 6)
Transparence - Déclaration des dispositifs transfrontières (DAC 6) - Principes généraux et droits fondamentaux du droit de l'Union européenne - L'avocat général Nicholas Emiliou, dans ses conclusions relatives à l'affaire Belgian Association of Tax Lawyers concernant la validité de la directive DAC 6 au regard de différents principes généraux et droits fondamentaux reconnus dans l'ordre juridique de l'Union, propose à la CJUE de déclarer valide cette directive en estimant que l'examen de l'affaire ne révélait « aucun problème affectant la validité de la directive (UE) 2018/822 du Conseil, […] en ce qui concerne l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration ».
CJUE, C-623/22, Belgian Association of Tax Lawyers e.a., concl. N. Emiliou, 29 févr. 2024
Abus de droit - Actes constitutifs d'un abus de droit - Indifférence de l'existence d' une autre voie licite de réduction de la charge fiscale - Le Conseil d'État confirme que l'article L. 64 du LPF ne permet pas à l'administration d'écarter, au motif qu'ils procèderaient d'un abus de droit, des actes qui, bien qu'uniquement inspirés par le motif d'éluder ou d'atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable, sont, en réalité, dépourvus d'incidence sur cette charge, mais précise qu'en revanche, n'est pas de nature à faire obstacle à ce que soient écartés comme procédant d'un abus de droit des actes passés ou réalisés dans le seul but d'atténuer la charge fiscale supportée par le contribuable, la circonstance que l'intéressé aurait pu réduire cette charge de manière identique en faisant le choix de passer ou de réaliser d'autres actes que ceux argués d'abus de droit.
CE, 9e et 10e ch., 12 déc. 2023, n° 470038 et 470039, Demaugé-Bost, concl. C. Guibé : Lebon T. (V. annexe 7)
Personnes bénéficiant d'un régime fiscal privilégié - Article 238 A du CGI - Exemple d'application - Commission versée à une société établie dans la zone franche de Madère - La CAA de Paris confirme la non-déductibilité d'une commission versée par une SAS exerçant une activité de promotion immobilière à une société établie à Madère dans une zone franche lui permettant de bénéficier d'une exonération d'impôt sur les sociétés. Elle considère que l'administration avait bien démontré l'existence d'un régime fiscal privilégié alors que le contribuable n'apportait pas la preuve de ce que la commission litigieuse correspondait à une opération réelle.
CAA Paris, 2e ch., 1er mars 2023, n° 21PA04921, Sté Lux'Immo, C (V. annexe 4)
Règles fiscales internationales - Réforme mondiale - Impôt minimum mondial (Pilier 2) - Directive européenne - Articulation avec les conventions fiscales internationales - Un avenant à la convention fiscale franco-suisse et la nouvelle convention fiscale entre la Belgique et les Pays-Bas prévoient expressément que ces conventions ne s'opposent pas à la mise en œuvre de l'impôt minimum mondial.
Avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales internationales (ensemble un protocole), 27 juin 2023
Convention entre le royaume de Belgique et le royaume des Pays-Bas pour l'élimination de la double imposition en matière d'impôts sur le revenu et pour la prévention de l'évasion et de la fraude fiscale, 21 juin 2023
22. L'article 9 de l'avenant à la convention franco-suisse signé le 27 juin 2023 prévoit l'ajout d'un paragraphe XIII, rédigé comme suit, au protocole additionnel à la convention : « XIII. Il est entendu que les dispositions de la Convention n'empêchent pas les États contractants de mettre en œuvre les dispositions de droit interne relatives à l'imposition minimale des groupes d'entreprises, prises sur le fondement des règles globales de lutte contre l'érosion de la base d'imposition (pilier deux) élaborées par le Cadre inclusif de l'Organisation de coopération et de développement économiques. »
De son côté, la convention fiscale signée le 21 juin 2023 entre la Belgique et les Pays-Bas prévoit en son premier protocole (Prot. I, 1, 4) que « Rien dans la présente Convention ne s'oppose à l'application de la directive (UE) 2022/2523 du Conseil du 14 décembre 2022 visant à assurer un niveau minimum d'imposition mondial pour les groupes d'entreprises multinationales et les groupes nationaux de grande envergure dans l'Union ». Ces stipulations permettent d'écarter, a priori, tout débat qui pourrait découler de la mise en œuvre des règles visant à mettre en œuvre le Pilier 2 et les conventions fiscales internationales en cause.23. Si une telle précision paraît superfétatoire eu égard au principe de primauté du droit de l'Union européenne sur toute autre norme24, elle atteste d'un certain malaise quant à la nature des règles relatives à l'impôt minimum issues du Pilier 2. Faut-il assimiler ces règles à des règles anti-abus ? Bien des arguments qui ont été présentés dans cette revue25 tendent à démontrer que ces règles vont bien au-delà de ces dispositifs. La nouvelle convention Belgique-Pays-Bas semble encore renforcer ce sentiment puisque le Protocole I prévoit en son point 1.2 (Prot. I, 1, 2) qu'« Aucune disposition de la présente Convention ne peut être interprétée comme empêchant un État contractant d'appliquer les dispositions de sa législation nationale visant à prévenir l'évasion et la fraude fiscales ». Une distinction est ainsi faite entre les mesures anti-abus nationales et les règles tendant à instaurer une imposition minimum des grandes groupes multinationaux d'origine européenne.
24. Aujourd'hui, au moins deux questions se pose nt. Déjà, il y a tout lieu de se demander si de telles stipulations conventionnelles ne vont pas devenir courantes dans les futures conventions fiscales internationales. Il ne serait pas étonnant que de telles stipulations soient désormais communément retenues par les États lors de la conclusion de nouvelles conventions ou lors de la négociation d'avenants. Ensuite, en dehors de l'Union européenne, la question se posera de la compatibilité de règles nationales mettant en œuvre le Pilier 2 avec une convention fiscale internationale qui ne prévoirait pas expressément sa mise en œuvre. L'apparition de clauses spécifiques atteste que les débats sont loin d'être clos en la matière.
Fraude fiscale - Détection - Visite et saisie domiciliaire (LPF, art. L. 16 B) - Articulation avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) - La Cour de cassation juge qu'un traitement de données à caractère personnel mis en œuvre par l'administration fiscale aux fins d'obtenir l'autorisation de procéder à des opérations de visite et saisies sur le fondement de l'article L. 16 B du LPF, qui a pour finalité d'obtenir le droit de procéder à une mesure d'enquête pouvant donner lieu à la constatation d'une infraction ou d'un manquement à la législation fiscale, dans le but de percevoir l'impôt et de lutter contre la fraude fiscale, entre dans le champ d'application matériel du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des données à caractère personnel (RGPD). Dès lors, le juge doit notamment vérifier si, dans le litige qui lui est soumis, le responsable du traitement est tenu de fournir à la personne concernée les informations prévues à son article 14 ou si sont réunies les conditions des exceptions ou limitations à cette obligation d'information qu'il prévoit.
Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-18.558, Sté FHF International, FS-B (V. annexe 8)
Fraude fiscale - Détection - Visite et saisie domiciliaire (LPF, art. L. 16 B) - Autorisation - Existence de simples présomptions de fraude - Établissement stable - La Cour de cassation juge que l'article L. 16 B du LPF n'exige que de simples présomptions de preuve de ce qu'une société étrangère exploiterait un établissement stable en France en raison de l'activité duquel elle serait soumise aux obligations fiscales et comptables prévues par le CGI en matière d'impôt sur les sociétés et/ou de taxes sur le chiffre d'affaires.
Cass. com., 15 févr. 2023, n° 20-20.600, Sté LVMH - Louis Vuitton Moët Hennessy et a., FS-B (V. annexe 9)
Abus de droit - Fraude à la loi - Montage artificiel - Interposition d'une société étrangère - Maquillage du versement de salaires en dividendes - Régime mère-fille - Un contribuable, actionnaire à 5 % d'une société A française, par l'intermédiaire d'une société française d'interposition, bénéficiait du versement de dividendes effectué par cette société A. L'administration avait considéré que ces dividendes, qui avaient transité par deux sociétés luxembourgeoises, elles-mêmes rémunérées par la société française de gestion de fonds d'investissement B dont le contribuable était salarié, au titre d'une activité d'organisation du réseau de distribution de ces fonds, devaient être requalifiés en traitements et salaires. Le TA de Versailles valide l'existence d'un abus de droit en reconnaissant l'existence d'un montage artificiel, compte tenu notamment de l'absence de substance des sociétés luxembourgeoises et de l'activité des sociétés françaises et de leurs salariés et gérants tout comme des modalités de distribution des dividendes.
TA Versailles, 5e ch., 29 nov. 2022, n° 2107655, Saint-Georges, C (V. annexe 9)
#Auteur: Emmanuel¤ JOANNARD-LARDANT
#Qualités: Professeur de droit public, Université Lumière Lyon II
#Qualités: Transversales - Unité de recherche en Droit
L’articulation du Pilier 2 avec les conventions fiscales internationales pose une question importante et délicate. Si l’OCDE estime que les règles du Pilier 2 ne devraient pas méconnaître les conventions fiscales existantes, cette affirmation apparaît, à bien des égards, fragile (V. § 8). Face aux risques d’incompatibilité, l’OCDE a d’ailleurs forgé des outils de conciliation entre les règles du Pilier 2 et les conventions existantes (V. § 19).