Consolidation fiscale - Impôts différés - Impôt minimum mondial (Pilier 2) - À la suite d'un exposé-sondage, l'IASB annonce officiellement retenir l'exception à la comptabilisation d'impôts différés au regard d'IAS 12 au titre des impôts complémentaires dus au titre des règles GloBE du Pilier 2. En outre, la liste des informations permettant aux utilisateurs des états financiers de comprendre l'exposition du groupe à l'impôt complémentaire est significativement revue à la baisse et son contenu sera définitivement précisé au moment de la publication de l'amendement à la norme IAS 12 d'ici à la fin du mois de mai 2023.
IASB, Exposé-sondage, Réforme fiscale internationale - Modèle de règles du Pilier 2, Projet de modification d'IAS 12, 9 janv. 2023
IASB, actualité, 11 avr. 2023
36.La composante impôt minimum mondial (Pilier 2) de la réforme de la fiscalité internationale menée par l'OCDE est désormais clairement en route avec l'adoption le 14 décembre 2022 de la directive européenne28 reprenant les éléments du modèle de règles GloBE adopté par l'OCDE le 21 décembre 202129, avec les quelques ajustements nécessaires pour se conformer aux règles qui régissent l'Union européenne.
La directive impose aux 27 pays de l'Union d'adopter le modèle de règles GloBE (règle d'inclusion des revenus, RDIR30 et règle relative aux paiements insuffisamment imposés, RPII31) avant le 31 décembre 2023, pour une application respectivement aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023 et 31 décembre 2024. Les États membres disposant de moins de 12 sociétés ultimes de groupes dans le champ des règles Pilier 2 bénéficient d'un délai rallongé maximal de 6 ans32. En revanche, toute latitude est laissée aux États membres pour la mise en œuvre, ou non, d'un impôt complémentaire local.
Les lois de déclinaison locale des règles Pilier 2 n'ont, à ce jour, encore été adoptées par aucun des pays de l'Union européenne, en dépit de quelques balbutiements en Asie.
Leurs impacts comptables dépendent, comme pour toute nouvelle imposition, d'une double interrogation.
Le nouvel impôt est-il voté ou quasi-voté ?
37. Par application des règles IFRS, dès lors qu'un texte est voté ou quasi-voté, il convient d'en tenir compte dans les états financiers. Les règles US Gaap attendent de leur côté que le texte soit voté (et non seulement quasi-voté). La réponse dépend du processus législatif local qui peut exiger un texte conforme entre deux assemblées, la signature d'un président, une publication à un journal officiel, etc.
Le nouvel impôt doit-il être considéré comme un impôt sur le résultat ?
38. Cette qualification est lourde d'enjeux. En cas de réponse positive, il conviendra certes de comptabiliser toute charge complémentaire découlant de ce nouvel impôt en impôt courant, mais il sera surtout nécessaire de comptabiliser, et ce dès que le texte sera voté/quasi-voté, potentiellement très en amont du paiement du nouvel impôt, l'impôt différé à anticiper sur les éléments des états financiers pouvant générer des différences temporaires.
39. Le critère prédominant de classification entre un impôt sur le résultat (régi par la norme IAS 12 en IFRS) et les autres impôts et taxes (régis par d'autres normes telles que IAS 1, IAS 20 ou IAS 37) réside dans la base de calcul de l'impôt. Est-ce une base brute de chiffre d'affaires ou certaines dépenses peuvent-elles réduire la base ? La réponse à cette interrogation est issue de l'analyse du mécanisme de calcul de l'impôt en question. Le champ d'application d'IAS 12 n'étant pas suffisamment défini, le Comité d'interprétation des règles IFRS (l'IFRIC) a pu apporter des précisions par le passé. Ainsi, un impôt sur le résultat implique selon l'IFRIC la détermination d'un résultat net, c'est-à-dire un montant net de produits et de charges, plutôt qu'un montant brut. Compte tenu de la diversité des impôts à travers le monde, il est nécessaire d'« exercer son jugement » pour déterminer si un impôt entre dans le champ d'application d'IAS 1233. Par ailleurs, un impôt calculé sur un montant brut comme le chiffre d'affaires ou le tonnage n'est pas considéré comme un impôt sur le résultat34.
40. Ainsi, lors de l'instauration de la CVAE en France fin 2009, une analyse des modalités de détermination de l'impôt afin de le qualifier au regard des règles comptables a été réalisée. Pour rappel, la base de la CVAE est constituée du chiffre d'affaires minoré de toutes les dépenses opérationnelles à l'exception de la masse salariale, des amortissements/provisions et autres impôts et taxes. Ainsi, la CVAE est assise sur la valeur ajoutée. Dans ce cadre, le CNC avait considéré qu'en raison de ces modalités de calcul et du manque de précision d'IAS 12 et des délibérations de l'IFRIC ne permettant pas de la qualifier, il appartenait à chaque entreprise d'exercer son jugement, au vu de sa propre situation, pour déterminer la qualification de la CVAE35.
De la sorte, les émetteurs ayant considéré que la CVAE était un impôt sur le résultat entrant dans le champ d'application d'IAS 12, ont dû anticiper la charge/économie future de CVAE sur la base des éléments au bilan IFRS. Ces éléments étaient principalement composés des provisions pour risques (les charges couvertes venant réduire la CVAE lorsque la charge se réalise) et des actifs amortissables.
41. Dans le cas du Pilier 2 et de l'impôt complémentaire pouvant être mis à la charge des groupes dans le champ d'application, au regard des modalités de détermination, un consensus de place s'est rapidement dégagé pour considérer que cet impôt complémentaire devrait être analysé comme applicable sur un résultat (par opposition à un impôt appliqué sur un chiffre d'affaires) et entrerait donc dans le champ d'application de la norme IAS 12 dans les comptes consolidés des sociétés ultimes.
Toute la problématique s'est ensuite cristallisée sur les modalités de comptabilisation de l'impôt différé à ce titre.
Les modalités de comptabilisation de l'impôt différé au titre du Pilier 2
42. Les différentes parties prenantes (entreprises, comptables, commissaires aux comptes, conseils, etc.) ont rapidement attiré l'attention du normalisateur comptable IFRS sur les difficultés multiples de la comptabilisation d'impôt différé au titre de l'impôt Pilier 2 : sur quelles bases ? de nouvelles différences temporaires sont-elles vraiment générées ? comment déterminer le taux à utiliser pour valoriser des impôts différés ? D'autres questions ont également pu jaillir quant à l'utilité et la complexité de l'exercice, sans parler de l'urgence liée à la disparité de pratiques que les émetteurs pourraient retenir sur ce sujet.
De la sorte, l'IASB (International Accounting Standards Board) a entamé des travaux d'analyse et de réflexion dès 2022. Le 9 janvier 2023, l'IASB a publié un exposé-sondage sur la Réforme fiscale internationale - Modèle de règles du Pilier 2. Ce document, qui était ouvert à commentaires jusqu'au 10 mars 2023, propose une dérogation temporaire à la norme IAS 12.
43. De façon plus précise, dans le cadre de cet exposé sondage, l'IASB propose, par exception à la règle IAS 12, de dispenser les émetteurs soumis aux normes IFRS de comptabiliser les impôts différés actifs ou passifs rattachés aux impôts découlant des règles GloBE et de ne pas exiger qu'ils fournissent des informations sur les impôts différés en question (même non comptabilisés). Au stade de l'exposé-sondage publié, la proposition est une exception temporaire dans l'attente d'une analyse plus approfondie de l'IASB.
44. En revanche, l'exposé-sondage envisage de demander des informations complémentaires spécifiques, distinctes selon que l'on se situe avant la date d'entrée en vigueur des règles GloBE (date que l'on peut raisonnablement retenir principalement comme étant le 1er janvier 202436) ou après cette date. Ainsi, avant 1er janvier 2024, et à partir du moment où une loi de mise en œuvre du Pilier 2 est votée ou quasi-votée dans un des pays où le groupe est implanté, le groupe doit informer les utilisateurs de ses états financiers afin de leur permettre d'évaluer dans quelle mesure le Pilier 2 est susceptible d'impacter financièrement le groupe. En revanche, conscient que les groupes ne seront peut-être pas encore en capacité de déterminer exactement le montant des impôts complémentaires Pilier 2 dont ils pourraient être redevables, l'IASB n'exige pas les informations détaillées que pourrait entraîner l'application des règles GloBE.
De la sorte, les informations attendues des groupes soumis aux normes IFRS envisagées selon l'exposé-sondage sont les suivantes :
- une indication spécifique que le groupe a appliqué l'exception temporaire d'IAS 12 et n'a pas comptabilisé d'impôt différé au titre du Pilier 2 ;
- la liste des lois d'application du Pilier 2 adoptées ou quasi-adoptées dans chaque pays où le groupe exerce ses activités ;
- pour chacun des pays où le groupe atteint un taux effectif d'imposition (TEI) moyen inférieur à 15 % : le bénéfice comptable IFRS, la charge ou le produit d'impôt ainsi que le TEI moyen pondéré ; ces informations seraient à communiquer pour l'ensemble des entités du groupe dans le pays en question ; il convient de noter que ce TEI est différent de celui des règles GloBE puisque celui visé par l'IASB est déterminé en divisant le montant des impôts comptabilisés au regard d'IAS 12 (impôt courant et impôt différé) sur le résultat avant impôt IFRS ; ce ratio est loin de l'impôt GloBE/le résultat GloBE, l'IASB ne voulant pas exiger des efforts excessifs mais plutôt donner une idée de l'exposition potentielle du groupe ;
- enfin, les pays pour lesquels le groupe a identifié, dans le cadre de ses travaux de préparation au respect des règles GloBE, que des impôts complémentaires générés par ces règles pourraient être dus par le groupe.
Ces éléments seraient en pratique à produire, pour la majorité des groupes clôturant avec l'année civile, dans les états financiers du 31 décembre 2023.
En revanche, pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024 (l'exposé-sondage vise la date d'application des règles GloBE), l'information serait beaucoup plus limitée, les groupes seraient seulement tenus d'indiquer, isolément, le montant de la charge (produit) d'impôt courant découlant des règles GloBE.
45. L'IASB a reçu de nombreux commentaires à la suite de cet exposé-sondage. De façon quasi unanime, la dérogation temporaire à la règle IAS 12 a été reçue de façon positive, avec un retour plus nuancé sur son aspect temporaire ainsi que sur la nécessité imposée aux groupes de mentionner avoir retenu cette exception. En revanche, les autres informations attendues par l'IASB pour la période antérieure à la mise en application des règles GloBE ont soulevé plus de critiques, accusées d'être trop volumineuses ou non pertinentes.
De la sorte, à l'issue d'une réunion spéciale tenue le 11 avril 2023 afin de discuter de la synthèse des commentaires reçus, l'IASB a annoncé officiellement retenir l'exception à la comptabilisation d'impôts différés au regard d'IAS 12 au titre des impôts Pilier 2. Aucun impôt différé ne sera donc à comptabiliser au titre d u Pilier 2. La liste des informations permettant aux utilisateurs des états financiers de comprendre l'exposition du groupe à l'impôt complémentaire a, quant à elle été significativement revue à la baisse et son contenu sera définitivement précisé au moment de la publication de l'amendement adopté dans sa version définitive. L'objectif annoncé de l'IASB est de finaliser l'amendement à la norme IAS12 avant la fin du mois de mai 2023 dans la perspective des clôtures semestrielles.
L'ŒIL DE LA PRATIQUE
Les émetteurs européens doivent appliquer les normes IFRS telles qu'adoptées par la Commission européenne. Or, s'il est probable que l'amendement à la norme IAS 12 sera adopté par l'IASB avant le 30 juin 2023, la Commission européenne n'aura, elle, vraisemblablement pas le temps de valider cette exception à la règle IAS 12 avant cette date.
Les émetteurs soumis aux règles américaines sont déjà soulagés : le normalisateur comptable américain (FASB) s'est déjà clairement exprimé le 1er février 2023 en indiquant que l'impôt Pilier 2 devait être considéré, tout comme l'Alternative Minimum Tax, en impôt sur le résultat de la période et sans prise en compte d'un quelconque impôt différé au regard des règles GloBE. De cette manière, les effets de l'impôt complémentaire n'impacteront les états financiers des émetteurs soumis aux US Gaap que lorsque les règles de mise en œuvre seront votées (et non quasi-votées) et la première fois au cours des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.
Quant aux groupes soumis aux règles de consolidation françaises37, leur sort semble encore à l'étude du côté du normalisateur comptable français, l'ANC.
Il est bienvenu que les normalisateurs comptables n'ajoutent pas de la complexité, là où les fiscalistes de l'OCDE semblent avoir atteint le paroxysme de la difficulté d'application.