#Auteur: Emmanuel¤ DINH
#Qualités: Maître de conférences à l’Université Paris Dauphine
#Qualités: Directeur du master de Fiscalité de l’entreprise (221)
#Qualités: Avocat à la Cour, Couderc Dinh & Associés
Le concept d’établissement stable constitue la pierre angulaire du système de taxation des entreprises dans un contexte international, en tant qu’il se fixe pour objectif de déterminer le seuil d’intégration économique à partir duquel une entreprise résidente d’un État verra ses revenus actifs soumis à la souveraineté fiscale de l’autre État. La question de la détermination du niveau de bénéfices attribuables à l’établissement stable est donc cruciale (V. § 1).
Très tôt (dès 1933), les États se sont accordés sur un principe d’attribution des bénéfices à un établissement stable reposant sur la fiction de l’« entreprise distincte et indépendante exerçant des activités identiques ou analogues », qui continue à s’appliquer de nos jours, conformément à l’article 7 du modèle de convention OCDE. L’année 2010, année de publication du rapport sur l’attribution de bénéfices aux établissements stables (« le rapport 2010 »), version actualisée du rapport de 2008 sur le même thème, et comprenant l’« approche autorisée » de l’OCDE, marque toutefois une nouvelle étape, par les modifications apportées à l’article 7 lui-même, les nouvelles dispositions précisant qu’il y a lieu de tenir compte des « opérations internes avec d’autres parties de l’entreprise », et que la comparaison avec une entreprise distincte et indépendante doit tenir compte « des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés ». Il s’ensuit donc que l’approche autorisée de l’OCDE commande la mise en œuvre d’une analyse fonctionnelle et factuelle, comparable à celle applicable en matière de prix de transfert, aux fins de détermination d’un bénéfice de pleine concurrence à l’établissement stable, de même que la reconnaissance, à cette fin, des effets fiscaux de simples opérations internes (V. § 2).
C’est dans ce cadre que se pose la question de la construction du bilan fiscal de l’établissement stable : l’attribution à ce dernier de certains éléments d’actif et de passif appartenant à l’entreprise dans son ensemble découlera directement de l’analyse fonctionnelle et factuelle (V. § 8), selon l’enchainement logique suivant : l’analyse des fonctions exercées (V. § 9) permettra de déterminer la nature et le niveau des risques y associés (V. § 10 et 11). Il s’ensuivra l’attribution d’actifs immobilisés suffisants pour couvrir les risques attribués à l’établissement (V. § 12 à 21). À cela s’ajoutera l’actif circulant découlant tout à la fois des opérations réalisées avec des tiers et des opérations internes réalisées avec d’autres parties de l’entreprise (V. § 22 à 24). Une fois l’actif connu, on en déduira le montant total du passif ou du financement nécessaire, à distinguer entre le « capital libre », soit l’équivalent des capitaux propres, dont le niveau est corrélé au risque supporté (V. § 26), et la dette, ouvrant droit à déduction des intérêts, que ce soit au titre d’un endettement auprès d’un tiers, ou d’une autre partie de l’entreprise (V. § 27 à 29).
Il s’ensuit l’édification d’un bilan fiscal, reconstruit sur la base d’une analyse fonctionnelle précise, et faisant la part belle, le cas échéant, aux simples opérations de transfert internes de biens, de services et de capitaux, nécessairement assez éloigné, a priori, du bilan tel qu’il ressort de la comptabilité commerciale de la succursale, si elle existe, ce qui est une conséquence logique de l’approche autorisée de l’OCDE.
Alors qu’il existe encore assez peu de conventions fondées sur le modèle de 2010, on constatera que le droit fiscal positif français, sous l’effet de la jurisprudence, semble néanmoins suivre une évolution parallèle aux évolutions du modèle OCDE et ses commentaires, notamment en regard de l’autonomisation de l’établissement stable par rapport au reste de l’entreprise.