#Mots-clés: Recherche et développement, R&D, redevances, concession, brevet, licence, droits, propriété industrielle, propriété intellectuelle, ratio, nexus, logiciel, invention, actif incorporel, taux, coût, administratif, groupe de sociétés, Pilier 2
#Article du CGI/LPF: 39 terdecies, 238
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1.Avant d’entrer dans les détails, quel regard général portez-vous sur la réforme de 2018 ? - Il faut d’abord rappeler qu’un régime existait avant 2018, qu’il était déjà très favorable, même s’il ne concernait que les brevets et qu’un faible nombre d’entreprises en bénéficiaient. Il était surtout facile à appliquer par les entreprises et peu coûteux à gérer administrativement. Il ne posait pas de difficulté en pratique.
2.É tait-ce si important de préserver l’essentiel ? - C’était crucial, et c’est toujours aussi important, peut-être aujourd’hui plus encore que jamais. Pourquoi ? Pas seulement parce qu’il est essentiel d’encourager les investissements en faveur de la recherche et de l’innovation. Mais aussi et surtout parce que cette question touche à la localisation des centres de décision. Lorsque la propriété intellectuelle reste localisée dans un pays, le pouvoir de décision a aussi tendance à rester dans ce pays. Il existe un lien fort entre le lieu où se trouve détenue la propriété intellectuelle et le lieu où s’exerce le pouvoir de direction de l’entreprise. On le voit bien par les contre exemples. Les entreprises qui disséminent géographiquement leur propriété intellectuelle sont plus vulnérables. Nous avons tous à l’esprit la liste de ces groupes qui n’ont pas centralisé leur propriété intellectuelle et qui ont aujourd’hui disparu. La recherche est une activité stratégique, la propriété intellectuelle est un actif stratégique, et pour les groupes internationaux dirigés depuis la France, il est important que la recherche puisse se maintenir en France et que la propriété intellectuelle soit centralisée en France, surtout lorsqu’il n’existe pas en France d’autres actifs importants.
3.Quels ont été les principaux enjeux à l’époque ? Le Nexus ? - Outre bien sûr le critère du Nexus, qui constitue le cœur de la réforme, les deux points très importants sur lesquels il convenait d’être vigilant portaient d’une part sur l’imposition sur la base du revenu brut et d’autre part sur l’inclusion des logiciels dans le régime.
4.Le nouveau régime a-t-il créé des avantages nouveaux, des opportunités nouvelles ? - Certainement. S’agissant des avantages, on pense évidemment au taux d’imposition, qui est passé de 15 % à 10% au moment des débats au Parlement, sans d’ailleurs que les entreprises en aient fait la demande, principalement pour compenser les effets potentiellement défavorables liés à l’introduction de la règle du Nexus. Quant aux opportunités, elles sont réelles, car il suffit de constater qu’il y a aujourd’hui davantage de sociétés qui bénéficient du régime qu’il n’y en avait avant la réforme. Auparavant, c’étaient surtout les grands groupes qui étaient concernés. Aujourd’hui, les PME le sont également. Cette évolution est principalement liée à l’éligibilité des logiciels protégés par le droit d’auteur. Elle est à mettre au crédit du nouveau régime.
5.Certains aspects du régime posent-ils encore problème ? - Tout n’est pas parfait, bien entendu. Par exemple, lorsque l’entreprise qui possède la propriété intellectuelle fabrique elle-même et vend les produits pour un prix qui incorpore la valeur de la recherche, le régime ne peut pas s’appliquer. Le prix de vente du produit ne constitue pas, en effet, un produit de la recherche stricto sensu. Pourtant, on pourrait imaginer qu’avec des méthodes de prix de transfert, il soit possible d’isoler à l’intérieur du prix du produit la valeur correspondant à la propriété intellectuelle. Mais cette faculté n’a pas été prévue par les textes français, alors pourtant que les règles de l’OCDE l’autorisent. Autre exemple : les dépenses d’acquisition de brevets sont exclues. On peut le regretter, en particulier lorsque, par exemple, on décide de transférer des brevets d’une entité à une autre. La recherche a beau avoir été réalisée à l’intérieur du groupe, le coût d’acquisition du brevet ne pourra pas être pris en compte.
6.La réforme vous a-t-elle conduit à rapatrier en France de la recherche auparavant localisée à l'étranger ? - Non, parce que la localisation d’un centre de recherche ne dépend pas de considérations seulement fiscales. Des facteurs non fiscaux entrent bien sûr en ligne de compte, et ils sont essentiels. Ils touchent par exemple à l’endroit où se trouvent les compétences, mais aussi les besoins industriels. Et il est aussi important de pouvoir s’appuyer sur des équipes qui ont des cultures et des méthodes de pensée différentes. Tout cela suppose de maintenir des centres de recherche à l’étranger. Mais il est vrai aussi qu’en cas de nouveaux projets, en présence d’un choix possible entre plusieurs localisations, il sera tenu compte du critère fiscal, parmi d’autres critères. Et, de ce point de vue, on peut dire que, par la combinaison de l’imposition réduite des produits de la recherche et du crédit d’impôt recherche (CIR), la France offre un environnement attractif qui possède ce grand avantage de permettre, c’est vrai, de conserver d’importants centres de recherche en France. Il est essentiel pour toutes les raisons que j’ai déjà mentionnées que la France reste compétitive face aux autres régimes ailleurs en Europe et dans le monde.
7.Le régime est-il globalement plus favorable aujourd'hui qu'il ne l'était auparavant ? - Il n’est pas possible de répondre pour la généralité des cas. Tout dépend de l’entreprise concernée. En ce qui concerne L’Air Liquide, il a été plus favorable dans un premier temps, parce que le taux est passé de 15 % à 10 % et aussi parce que le Nexus ne s’appliquait pas à la propriété intellectuelle historique. Mais à terme, il est certain qu’il sera moins favorable que le régime antérieur.
8.La gestion du régime entraîne-t-elle des lourdeurs administratives ? - C’est certain. Le régime est beaucoup plus lourd administrativement qu’avant. Le coût induit a été significatif pendant les premières années. Aujourd’hui, le système est rôdé.
9.Quel pourrait être l’impact d u Pilier 2 sur le régime ? - De prime abord, il est négatif pour l’entreprise, parce que l’application des règles Pilier 2 pourrait avoir pour effet d’augmenter le taux d’imposition des produits de la recherche de 10 % à 15 %. Mais, il pourrait être aussi positif en ce qu’il pourrait encourager les groupes à rapatrier en France des activités taxées au taux de 25 %, ou à les dissuader de transférer ces activités à l’étranger, ceci afin notamment de rehausser leur taux moyen d’imposition au-dessus du seuil de 15 % en France. Pilier 2 pourrait donc contribuer indirectement à encourager et accompagner le mouvement de réindustrialisation de notre pays.