Pierre FERNOUX
Chargé d'enseignement à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas)
Chargé d'enseignement à l'Université de Paris II (Panthéon-Assas)
Le Conseil d’État juge qu’il résulte des articles 595 et 617 du code civil que l'usufruit viager est limité dans le temps et qu'il est, en tant que droit réel, cessible. Ses effets bénéfiques diminuent chaque année. Dès lors, c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge que la valeur de l'usufruit viager est dégressive avec le temps et que cette dépréciation peut justifier un amortissement.
Cet arrêt agite beaucoup le monde de la gestion de patrimoine, alors que nous attendions depuis 2003 la confirmation d'une analyse fondée sur le caractère déterminable de la durée du droit démembré viager, autorisant par conséquent la pratique de son amortissement en fonction de l'espérance de vie de l'usufruitier.Décision Formation de jugement : 10e et 9e ch.Date : 24 avr. 2019Num décision : 419912Parties : WincklerRefsourceJP##CE, 10e et 9e ch., 24 avr. 2019, n° 419912, Winckler
Pdt : M. Ménéménis - Rapp. : Mme Thomas - Rapp. public : Mme Iljic – Av. : SCP Gatineau, FattacciniFichage : Mentionné dans les tables du recueil LebonVu les procédures suivantes :1° Mme Winckler a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2011. Par un jugement n° 1402388 du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête.Par un arrêt n° 17NC00780 du 22 février 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur appel de Mme Winckler, annulé ce jugement et déchargé partiellement Mme Winckler des suppléments d'impôt et de contributions sociales en litige ainsi que des pénalités correspondantes.Sous le n° 419913, par un pourvoi, enregistré le 17 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :1°) d'annuler cet arrêt ;2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.2° Mme Winckler a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge partielle des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, ainsi que des majorations correspondantes, auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013. Par un jugement n° 1602812 du 14 mars 2017, le tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.Par un arrêt n° 17NC01196 du 22 février 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel formé par le ministre de l'économie et des finances contre ce jugement.Sous le n° 419912, par un pourvoi, enregistré le 17 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :1°) d'annuler cet arrêt ;2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel.Vu les autres pièces des dossiers ;Vu :- le code civil ;- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;- le code de justice administrative ;Après avoir entendu en séance publique :- le rapport de Mme Christelle Thomas, maître des requêtes en service extraordinaire,- les conclusions de Mme Anne Iljic, rapporteur public ;La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de Mme Winckler ;Considérant ce qui suit :1. Les pourvois visés ci-dessus présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Winckler détient le droit d'usufruit viager d'un bien immobilier situé à Antibes et loué de manière habituelle en meublé à compter de l'année 2010, la nue-propriété de ce bien étant détenue par la société civile immobilière […]. Mme Winckler a déduit de son résultat imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux au titre des années 2011, 2012 et 2013 une dotation aux amortissements à hauteur de 67 500 euros. A la suite de deux vérifications de comptabilité, l'une portant sur l'année 2011, l'autre sur les années 2012 et 2013, l'administration a remis en cause l'amortissement du droit d'usufruit viager de Mme Winckler et assujetti celle-ci à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales. Mme Winckler a saisi le tribunal administratif de Strasbourg qui, par deux jugements du 14 mars 2017, a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'imposition auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2011 et l'a déchargée des cotisations supplémentaires auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013. Par deux arrêts du 22 février 2018, la cour administrative d'appel de Nancy a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales de l'année 2011 et rejeté l'appel du ministre de l'action et des comptes publics contre le jugement déchargeant Mme Winckler des impositions supplémentaires des années 2012 et 2013. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre ces deux arrêts.3. L'article 39 du code général des impôts dispose : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, (...), notamment : (...) / 2° (...) les amortissements réellement effectués par l'entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d'après les usages de chaque nature d'industrie, de commerce ou d'exploitation (...) ". En vertu de l'article 38 quater de l'annexe III au code général des impôts : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Aux termes de l'article 322-1 du plan comptable général dans sa rédaction applicable au litige : " 1. Un actif amortissable est un actif dont l'utilisation par l'entité est déterminable. / 2. (...) / L'utilisation d'un actif est déterminable lorsque l'usage attendu de l'actif par l'entité est limité dans le temps. Cet usage est limité dès lors que l'un des critères suivants, soit à l'origine, soit en cours d'utilisation, est applicable : physique, technique juridique. (...) ". Aux termes de l'article 595 du code civil : " L'usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit ", et aux termes de l'article 617 du même code : " L'usufruit s'éteint : / Par la mort de l'usufruitier ; (...) ".4. Il résulte des dispositions citées au point 3 qu'un élément d'actif incorporel ne peut donner lieu à une dotation annuelle à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques prendront fin à une date déterminée.5. En premier lieu, il résulte des dispositions, citées au point 3, du code civil que l'usufruit viager est limité dans le temps et qu'il est, en tant que droit réel, cessible. Ses effets bénéfiques diminuent chaque année. Dès lors, c'est sans erreur de droit que la cour a jugé que la valeur de l'usufruit viager est dégressive avec le temps et que cette dépréciation peut justifier un amortissement.6. En second lieu, en vertu des dispositions de l'article 669 du code général des impôts, relatif à la liquidation des droits d'enregistrement et de la taxe sur la publicité foncière en cas de démembrement de propriété, la valeur de l'usufruit est déterminée, sur le plan fiscal, en fonction de l'âge de l'usufruitier et de son espérance de vie telle qu'elle ressort des tables de mortalité établies par l'institut national de la statistique et des études économiques. Il est dès lors possible de déterminer la durée prévisible des effets bénéfiques d'un usufruit viager en tenant compte de l'espérance de vie de son titulaire, estimée à partir de ces tables de mortalité. Il s'ensuit qu'en jugeant que, compte tenu de l'âge de Mme Winckler et de son espérance de vie déterminée à partir de ces données, une période de vingt ans correspondait à la durée prévisible durant laquelle l'usufruit viager produirait des effets bénéfiques sur l'activité de loueur en meublé de l'intéressée, la cour, qui n'a pas dénaturé les pièces du dossier, n'a entaché ses arrêts ni d'erreur de droit, ni d'inexacte qualification juridique des faits.7. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à demander l'annulation des arrêts qu'il attaque.8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme Winckler au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.D E C I D E :Article 1er : Les pourvois du ministre de l'action et des comptes publics sont rejetés.Article 2 : L'Etat versera à Mme Winckler une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à Madame Winckler.Analyse au Recueil Lebon :19-04-02-01-04-03 –AmortissementActif amortissable (2° de l'art. 39 du CGI) - Usufruit viager -Inclusion.Il résulte des articles 595 et 617 du code civil que l'usufruit viager est limité dans le temps et qu'il est, en tant que droit réel, cessible. Ses effets bénéfiques diminuent chaque année. Dès lors, c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge que la valeur de l'usufruit viager est dégressive avec le temps et que cette dépréciation peut justifier un amortissement (Ministre de l'action et des comptes publics c/ Mme W..., 10 / 9 CHR, 419912 419913, 24 avril 2019, B, M. Ménéménis, pdt., Mme Thomas, rapp., Mme Iljic, rapp. publ.).Cette décision est analysée dans les chroniques d’actualité « Mode de détention du patrimoine» (IP 2-2019, n° 3, § 2) et « Entreprise » (IP 2-2019, n° 3, § 9) et fait l'objet d'un commentaire ci-dessous.Conclusions#AuteurRP: Anne¤ ILJIC#Qualités: Rapporteure publique1. L’usufruit viager d’un bien immobilier donné en location meublée revêt-il le caractère d’un actif incorporel immobilisé susceptible de faire l’objet de dotations à un compte d’amortissement ? Telle est la question sur laquelle vous allez devoir prendre position. 2. Mme Winckler a acquis avec son époux, décédé en 2009, l’usufruit viager d’une villa située sur le cap d’Antibes, dénommée […] et dont la nue-propriété appartenait à une SCI détenue à hauteur de 99,82 % par sa fille et de 0,08% par elle-même. De 2010 à 2013, elle a donné la villa en location meublée à titre non professionnel, les revenus tirés de cette activité étant imposables dans la catégorie des BIC. Sans doute consciente que rien n’est plus certain dans ce monde que la mort et les impôts, selon la formule de Benjamin Franklin, elle a déduit de ses BIC imposables à compter de 2010 un amortissement sur 20 ans calculé à partir de la valeur d’apport de l’usufruit viager relatif à la construction, qui s’élevait à 1 350 000 €, et de sa propre espérance de vie estimée selon les tables de mortalité de l’INSEE, soit une dotation annuelle de 67 500 €. À l’occasion de la vérification de comptabilité de cette activité, l’administration fiscale a notamment réintégré à ses résultats imposables les dotations aux amortissements constatés au titre de 2011, 2012 et 2013 au motif que l’élément d’actif que constituait l’usufruit viager de la contribuable n’était pas susceptible de faire l’objet d’un amortissement. En ont résulté d’importantes cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu. Le ministre vous demande aujourd’hui l’annulation des arrêts du 22 janvier 2018 (n° 17NC00780 : RJF 6/18 n° 583 et n° 17NC011096, inédit à la RJF) par lesquels la Cour administrative d’appel de Nancy a au contraire estimé que la contribuable pouvait valablement procéder de la sorte, et prononcé la décharge des impositions litigieuses. Mais les moyens qu’il soulève ne nous paraissent pas fondés. 3. Vous savez que lorsque la propriété d’un bien est démembrée, la valeur de la nue-propriété est inscrite à l’actif du bilan du nu-propriétaire en tant qu’immobilisation corporelle (Mémento comptable FL n° 1345) et que ce dernier est seul titulaire du droit d’amortissement (CE, 5 oct. 1977, n° 4718, Min. c/ Siméoni : RJF 11/77 n° 586, au sujet de la nue-propriété d’un wagon-citerne inscrite à l’actif du bilan d’une entreprise ; a contrario, jugeant que les éléments mobiliers ou immobiliers dont une entreprise a l’usufruit ne peuvent être inscrits à son actif : CE, 16 nov. 1936, n° 48224 : Dupont 1937, p. 42. - CE, 8 nov. 1965, n° 63472 : Dupont 1965 p. 508. - CE, 24 févr. 1967, n° 65699 : Dupont 1967, p. 293 ; et pour la reprise de cette position par la doctrine administrative BOI-AMT-10-20, 1er mars 2017, § 260). Mais l’amortissement du bien lui-même ne doit pas être confondu avec celui du droit que constitue l’usufruit. Comme l’ont rappelé certains de nos prédécesseurs (v. not. concl. S. Austry ss CE, 19 févr. 2003, n° 229373, Tornay : RJF 5/03 n° 573), l’usufruit constitue un droit réel défini par l’article 578 du code civil comme celui « de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance », l’usufruitier pouvant en vertu de l’article 595 du même code jouir du bien par lui-même, le donner à bail à un autre et même vendre ou céder son droit à titre gratuit, ce qui recouvre à la fois l’ « usus », c'est-à-dire la possibilité d’user du bien, et le « fructus », c'est-à-dire celle d’en recueillir les fruits. Il ne se distingue du droit de propriété dont il constitue un démembrement que par l’absence du droit de disposer de la chose, également dénommée « abusus ». Il ne fait donc pas de doute à nos yeux que le droit d’usufruit constitue un élément d’actif, qui revêt au sens des articles 211-1 et 211-3 du plan comptable général le caractère d’une immobilisation incorporelle. Telle est la comptabilisation qui emporte la préférence de la Compagnie des commissaires aux comptes (Bulletin CNCC n° 158, juin 2010, EC 2009-72, p. 440-442). Fiscalement, le droit d’usufruit remplit les critères permettant de caractériser un élément incorporel de l’actif immobilisé dégagés par votre jurisprudence SA Sife (CE, 21 août 1996, n° 154488, SA Sife : RJF 10/96 n° 1137, concl. J. Arrighi de Casanova) dès lors qu’il constitue une source de profits dotée d’une pérennité suffisante et revêt un caractère cessible. C’est ce que vous avez jugé par vos décisions Tornay du 19 février 2003 (CE, 16 févr. 2015, n° 229373, Tarnay : RJF 5/03 n° 573, concl. S. Austry) et Glas du 16 février 2015 (CE, 16 févr. 2015, n° 363223, Glas : Lebon T. : RJF 5/15 n° 403 ; BDCF 5/15, concl. N. Escaut), et il ne nous semble faire ici aucun doute que l’usufruit acquis par Mme Winckler sur la villa […] remplit les conditions requises par votre jurisprudence, y compris celle tenant à sa pérennité suffisante puisqu’il s’agit d’un usufruit viager, qui ne s’éteindra qu’avec sa mort. La qualification d’élément incorporel de l’actif immobilisé du droit d’usufruit viager, qui était en débat en première instance, n’est plus en litige en cassation. Le ministre concentre sa critique sur le caractère amortissable d’un tel actif dans les conditions prévues par l’article 39 du code général des impôts, qui dispose que le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges et notamment des « amortissements réellement effectués par l’entreprise, dans la limite de ceux qui sont généralement admis d’après les usages de chaque nature d’industrie, de commerce ou d’exploitation (…) » (2° du 1. de cet article). Alors que les dotations aux amortissements constituent plutôt l’apanage des actifs corporels, qui portent la marque physique de l’usure et du passage du temps, vous avez pris acte de ce que tous les incorporels ne sont pas immortels (J. Turot : Dr. fisc 1996, n° 5, p. 168) en admettant la possibilité d’amortir certains éléments incorporels de l’actif immobilisé, à la condition « qu’il soit normalement prévisible, lors de leur création ou de leur acquisition par l’entreprise, que leurs effets bénéfiques sur l’exploitation cesseront à une date déterminée » (CE, sect., 1er oct. 1999, n° 177809, Min. c/ Sté Foncia Particimo : RJF 11/99 n° 1324, concl. G. Goulard, p. 832). Tel est notamment le cas des programmes informatiques (CE, 22 févr. 1984, n° 39535, SA Sosi : RJF 4/84 n° 408. – CE, plén., 6 déc. 1985, n° 53001, Sté Sofilec : Rec. Lebon ; RJF 1/86 n° 9, concl. M.-A. Latournerie), des brevets (CE, 24 avr. 1981, n° 9665 : RJF 7-8/81 n° 649), des droits d’exploitation d’un film (CE, 3 févr. 1989, n° 58260, Gaumont : RJF 3/89 n° 263, concl. N. Chahid-Nouraï) ou encore des droits de commercialisation d’une spécialité pharmaceutique (CE, 14 oct. 2005, n° 260511, SA Chiesi et CE, 14 oct. 2005, n° 260486, SCA Pfizer : Lebon T. ; RJF 1/06 n° 4 et 5, chron. Y. Bénard p. 3 ; BDCF 1/06 n° 2, concl. S. Verclytte). 4. Le premier volet de la critique du ministre consiste à contester qu’un usufruit viager subisse une dépréciation du fait du passage du temps et puisse donc donner lieu à la comptabilisation d’amortissements. Il soutient que tant que l’usufruitier reste en vie, la valeur de l’usufruit ne subit aucune dépréciation et présente pour lui un caractère pérenne, la sortie de l’usufruit de l’actif devant être constatée en une seule fois à sa mort par la déduction en charges d’une moins-value. Pour intuitive qu’elle apparaisse de prime abord, cette interprétation ne résiste pas à l’analyse. Car comme tout usufruit (article 595 du code civil), l’usufruit viager est cessible entre vifs, mais il demeure indissolublement lié à la personne de l’usufruitier originaire, de sorte que la valeur du droit d’usufruit viager décroît à mesure que l’échéance de la mort de ce dernier se rapproche (J. Carbonnier, Droit civil, t. 3, Les biens : PUF 18e éd., 1998. – V. également en ce sens, implicitement : Cass. com., 26 sept. 2018, n° 16-26.503, publié au bulletin). Le barème applicable pour la détermination de l’assiette des droits de mutation est celui prévu au I de l’article 669 du code général des impôts, qui prévoit justement que la valeur de l’usufruit décroît à mesure que l’âge de l’usufruitier augmente, entraînant l’appréciation corrélative de la valeur de la nue-propriété. Ainsi, même si les conditions de jouissance de son droit par l’usufruitier ne s’en ressentent pas tant que l’intéressé ne s’avise pas de le céder, la valeur de l’usufruit viager se déprécie bien avec le temps. Nous vous invitons à écarter le moyen d’erreur de droit soulevé par le ministre sur ce point. 5. Le second moyen des pourvois est tiré de l’erreur de droit, de l’inexacte qualification juridique des faits et de la dénaturation à avoir jugé qu’il était possible de déterminer la durée prévisible de l’usufruit viager à la date de son entrée dans le patrimoine de l’intéressée. Le ministre rappelle que les juges du fond ont déjà pris position sur cette question en ce qui concerne des usufruits à caractère temporaire (v., s’agissant de l’usufruit d’un immeuble consenti à une société, amortissable sur la durée maximale de trente ans prévue à l’article 619 du code civil, qui dispose que : « L’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans » : TA Paris, 6 juill. 2009, Selarl Grossin et associés : RJF 1/10 n° 5 ; s’agissant de l’usufruit de titres de participation consenti pour une durée de dix ans, TA Poitiers, 21 nov. 1996 : RJF 1/97 n°7), mais il conteste qu’il puisse en aller de même pour un usufruit viager au motif que la date de décès de l’usufruitier est par nature imprévisible et dépend de facteurs divers tels que son état de santé, son mode de vie ou la pénibilité de la profession exercée. Le moyen revient en fait à contester que le recours aux tables de mortalité de l’INSEE soit assimilable à un usage généralement admis au sens de l’article 39, 1, 2° du code général des impôts. Il s’agit sans doute du point le plus délicat des pourvois. Deux raisons nous conduisent à vous inviter, là encore, à écarter le moyen. > La première est que si vous avez un temps subordonné l’amortissement d’actifs incorporels à la détermination certaine de la fin de leurs effets bénéfiques sur l’exploitation, vous vous contentez depuis votre décision de plénière Sté Sofilec du 6 décembre 1985, précitée, d’exiger qu’il soit seulement « normalement prévisible » qu’ils cessent leurs effets à une date déterminée. L’absence de limitation dans le temps des effets bénéfiques de mandats de gestion acquis par une société administratrice de biens, d’une marque viticole ou encore de droits à construire vous ont ainsi conduit à leur dénier tout caractère amortissable (CE, sect., 1er oct. 1999, n° 177809, Min. c/ Sté Foncia Particimo, préc. – CE, 28 déc. 2007, n° 284899, Min. c/ SA Domaine Clarence Dillon : RJF 3/08 n° 269 ; BDCF 3/08 n° 31, concl. L. Vallée. – CE, 23 déc. 2010, n° 308206, Min. c/ Thirode : RJF 4/11 n° 407 BDCF 4/11 n° 40, concl. P. Collin), mais l’impossibilité de prévoir avec exactitude la date à laquelle de tels effets bénéfiques prendront fin ne constitue pas en soi une circonstance déterminante. Elle ne vous a en tout cas pas empêchés d’admettre le caractère amortissable de droits d’exploitation cinématographiques, dont les effets bénéfiques varient pourtant selon le plus ou moins grand succès de l’œuvre (CE, 3 févr. 1989, n° 58260, Gaumont, préc.), ou de droits de commercialisation de spécialités pharmaceutiques, dont la durée de vie est elle aussi incertaine (CE, 14 oct. 2005, n° 260511, SA Chiesi, préc. et CE, 14 oct. 2005, n° 260486, SCA Pfizer, préc.). > La seconde raison est que les tables de mortalité de l’INSEE constituent à nos yeux une référence valable pour déterminer la durée attendue des effets bénéfiques d’un usufruit viager. Comme nous vous l’avons dit, c’est en effet en fonction de l’espérance de vie qu’est exprimé le barème prévu à l’article 669 du code général des impôts permettant de calculer les valeurs respectives de l’usufruit et de la nue-propriété servant de base au calcul de l’assiette des droits de mutation, et l’espérance de vie est également utilisée pour évaluer la valeur économique d’un usufruit viager selon une méthode consistant à actualiser les flux de revenus futurs attachés à ce droit (v. not. Mémento FL Transmission d’entreprises, n° 88160 et s.). Nous vous proposons de juger que le recours aux tables de mortalité de l’INSEE est assimilable aux « usages de la profession » auxquels se réfère l’article 39, 1, 2° du code général des impôts, étant entendu qu’est seule contestée par le ministre la possibilité de se référer à ces tables pour le calcul des amortissements et non le rythme selon lequel le droit d’usufruit viager détenu par Mme Winckler devait être amorti. Précisons sur ce point que même s’il nous semble que l’intéressée pouvait valablement procéder comme elle l’a fait, il était possible de se demander si le rythme d’amortissement ne devait pas être calé sur le barème de l’article 669, en vertu duquel la valeur de l’usufruit servant d’assiette aux droits de mutation varie en fonction de l’âge de l’usufruitier par tranche de dix ans. Par ces motifs nous concluons au rejet des pourvois et ce que soit mise à la charge de l’Etat sous chacun des deux numéros une somme de 3000 € à verser à Mme Winckler au titre des frais de procédure.