#Mots-clés: Évasion fiscale, Abus (Dispositifs anti-), régime fiscal privilégié, appréciation du caractère privilégié d’un régime fiscal, régime mère-fille, Fraude à la loi, abus de droit, holding, montage artificiel, Luxembourg
#Article du CGI/LPF: 123 bis, 145, 216, 238 A, L. 64
#Convention fiscale:
#Pays:
Deux résidents fiscaux français disposant de 100 % du capital d’une société luxembourgeoise constituée sous la forme d'une société de participations financières (Soparfi ), ont fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle et d'un contrôle sur pièces aux termes desquels l’administration fiscale a procédé à des rehaussements de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement de l'article 123 bis du CGI, à raison des bénéfices réalisés par la société de droit luxembourgeois ; l’administration estimant notamment que la société luxembourgeoise était soumise à un régime fiscal privilégié dès lors qu'elle bénéficiait d'une exonération totale des dividendes perçus en provenance de sa filiale unique, une société de droit français.
Le Conseil d'État a, par une décision du 14 février 2022 (CE, 14 févr. 2022, n° 442061 et 442062, Carrozza, concl. M.-G. Merloz : FI 2-2022, n° 9, § 31, comm. C. Acard) annulé les arrêts des juridictions du fond qui avaient confirmé la position de l’administration et renvoyé l’affaire devant la CAA de Versailles. Il avait jugé que l’appréciation du caractère privilégié du régime fiscal applicable, qui doit se faire au regard de l’impôt sur les bénéfices ou les revenus dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, inclut le régime mère-fille.
La CAA de Versailles, contrairement aux conclusions de son rapporteur public, décharge les requérants des impositions supplémentaires. Selon elle, dès lors que le montant de la quote-part était supérieur aux frais et charges réellement exposés par la société luxembourgeoise pour l'acquisition ou la conservation des dividendes reçus de sa filiale, la soumission à l'impôt sur les sociétés de la quote-part, fixée forfaitairement, de 5 % des dividendes en cause, s'analyse comme une modalité d'imposition de l'ensemble de ces revenus en France.
Si les requérants soutiennent que le taux d'imposition réel pour une société holding située en France serait de 1,65 %, au lieu d'une exonération totale au Luxembourg, compte tenu de la quote-part pour frais et charges, la CAA relève que ce taux est supérieur de plus de la moitié du taux zéro applicable aux revenus perçus par les SOPARFI luxembourgeoises.
Dès lors et contrairement à ce que soutiennent les requérants, la société luxembourgeoise doit être regardée comme ayant joui d'un régime fiscal plus favorable au Luxembourg qu'en France pour l'exonération des dividendes perçus en provenance de la filiale française.
La cour examine ensuite la possibilité pour les requérants de se prévaloir de la clause de sauvegarde prévue par le 4 bis de l’article 123 bis du CGI. Elle se fonde notamment sur la circonstance que la société ne dispose au Luxembourg que d’une adresse de domiciliation dans une société fiduciaire, que son capital provient de l’apport des parts détenues par le requérant dans la société française et qu’aucune véritable réorganisation patrimoniale n’a été engendrée du fait de ces opérations ni aucun effet de levier d’investissement. Elle relève que l’administration démontre que l’activité de la société se limitait au portage des titres de la société française et à la réception de dividendes en franchise d’impôt. Elle juge donc que l’administration prouve l’existence d’un montage artificiel visant à contourner la législation fiscale française et que les requérants ne sont pas fondés à se prévaloir de la clause de sauvegarde.
Toutefois, la cour, se prononçant sur la détermination du résultat imposable, juge que dès lors qu'il n'est pas contesté que la société luxembourgeoise remplissait toutes les conditions pour bénéficier du régime visé à l'article 145 du CGI si elle avait été établie en France, et ce, indépendamment de la formalisation d'une option, l'administration fiscale ne saurait utilement se prévaloir de la faculté qui lui aurait été offerte de faire échec à l'invocation de ce régime en opposant le principe général de répression de la fraude à la loi, alors que les bénéfices de cette société, soumise à un régime fiscal privilégié, doivent, pour l'application de l'article 123 bis, être déterminés uniquement selon les règles du code général des impôts, comme si elle était imposable en France.
Dans ces conditions et alors que l'administration ne conteste ni le principe ni le montant des charges déduites du résultat procédant des liasses luxembourgeoises versées au dossier, ni le détail du calcul du déficit dont se prévalent les requérants, ces derniers sont fondés à soutenir que la détermination des résultats de la société luxembourgeoise n'aurait généré aucune imposition si l'entité juridique avait été imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Par suite, la CAA considère qu’ils sont fondés à demander la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis.
À l’opposé, le rapporteur public avait considéré que l'administration était en droit d'opposer la théorie générale de la fraude à la loi ; une telle fraude étant selon lui caractérisée en l'espèce.